Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’elle, et dès l’époque d’Auguste on pouvait prévoir qu’elle finirait par être entourée d’un désert. Il est donc vraisemblable que la plupart des villes latines, quand Virgile les a connues, commençaient à prendre l’aspect désolé qu’elles ont de nos jours. C’était une raison pour qu’il les aimât davantage. Elles ont dû lui plaire par leur tristesse même et leur solitude ; riches, florissantes, peuplées, elles lui auraient inspiré moins d’affection. Ses biographes racontent qu’il se sentait mal à l’aise dans les grandes cités populeuses et qu’il s’en éloignait le plus qu’il pouvait. Il devait au contraire visiter volontiers ces pauvres, villes abandonnées. Le contraste saisissant entre leur ancienne fortune et leur misère présente les lui rendait plus chères, et l’on sent qu’il n’a jamais parlé d’elles qu’avec émotion.

Parmi toutes ces anciennes cités, qui ne subsistaient plus qu’à demi ruinées et désertes, Lavinium avait une importance particulière : « C’est là, disait Varron d’un ton solennel, c’est là que sont les Pénates du peuple romain ; ibi dii Pénates nostri. » Ils avaient témoigné dans une circonstance grave qu’ils ne voulaient pas résider ailleurs. On racontait qu’Ascagne ayant essayé de les transporter avec lui dans la ville qu’il venait de bâtir, deux fois de suite ils quittèrent leur temple d’Albe, quoiqu’on eût fermé les portes avec soin, et retournèrent la nuit à Lavinium. Il fallait bien les y laisser puisqu’ils n’en voulaient pas sortir, et comme ils se seraient fâchés s’ils avaient perdu tous leurs adorateurs, on y envoya six cents habitans qui furent forcés d’y demeurer pour leur faire des sacrifices. Dès lors Lavinium fut entièrement consacré à leur culte. C’était une sorte de ville sainte, comme il y en a encore quelques-unes en Italie, qui, ne contiennent que des églises ou des couvens et où l’on ne rencontre que des moines. Les prêtres ne manquaient pas non plus à Lavinium, si nous en croyons les inscriptions, qui en mentionnent un grand nombre, et même on nous fait remarquer, ce qui est une circonstance assez caractéristique, qu’ils y conservaient le costume ancien dans toute sa rigueur, tandis qu’on l’avait modifié à Rome pour le rendre plus commode. Le temple des Pénates était sans doute le plus important du pays ; on le visitait beaucoup, mais, comme il n’était pas permis de pénétrer dans le sanctuaire, il régnait une assez grande incertitude sur ce que ces dieux pouvaient être. Les uns prétendaient qu’ils y étaient représentés sous la forme de petites statues assises avec une pique à la main ; d’autres que c’étaient simplement des morceaux de fer ou d’airain qui n’avaient