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plus détaillés sur l’exploitation, l’état présent et l’avenir des houillères. Qu’on se rassure, je n’en abuserai pas. Nous nous dirigeons sur la fosse principale : on nous munit de lampes dans la chambre de la machine, et le wagonnet nous descend dans les entrailles de la steppe. Oh ! pas bien profond, à 110 mètres ; un trou de taupe en comparaison des mines de Cornouailles et de Saxe. La galerie où nous nous engageons a environ 200 mètres de longueur. Pour mon usage personnel, je préférais les larges corridors de cristal de la saline, à Briantzefka. Ici les ténèbres, un air gras et chaud, de l’eau qui suinte à travers les feuilles de lignite. A mesure que nous avançons, le boyau s’étrécit, il faut se courber en deux, et je me rappelle vivement une des grandes terreurs de mon enfance, l’infortuné cardinal La Balue enfermé dans une cage de fer où il ne pouvait jamais se redresser. Au bout de la galerie, les ouvriers employés au percement et à l’abatage poursuivent leur rude labeur, accroupis dans l’excavation, nus jusqu’à la ceinture. Tout le monde le connaît, ce triste travail des mines ! Ici, il paraît plus triste encore quand on songe à la libre existence pour laquelle étaient faits ces coureurs de prairies. Et les pauvres petits chevaux du Don ! comment ne pas les plaindre, eux, dont le nom seul semble un symbole de liberté sauvage et qui sont condamnés pour jamais à cet aveugle service ! Il y a beaucoup d’enfans attachés au travail du fond, des enfans de douze ans ! Le mineur gagne en moyenne, dans tout le bassin, 1 rouble par jour, un peu plus de 2 fr. 50. Du moins il n’a pas à redouter le grisou ; la faible profondeur des fosses le garantit contre les accidens. On descend partout avec des lampes à flamme libre ; pourtant une catastrophe n’est pas absolument impossible : le jour où elle se sera produite, on pensera sans doute aux lampes de sûreté. — Un signal réclame la traction, nous remontons. Oh ! que la lumière est bonne, le ciel large et bienveillant sur la steppe ! Il me semble qu’on doit dire, en nous regardant, ce que jadis on disait du poète : « Voilà celui qui revient de l’enfer ! »

Une voiture attelée de vigoureux postiers nous mène de la station au village de Zouïefka, où habite notre hôte. C’est le pays le plus désolé que nous ayons encore parcouru, des vagues de terrain jaunâtre, grillé, pelé, où les troupeaux de moutons mettent de larges taches grises. Et l’on dit qu’au printemps la steppe en fleurs est si charmante ! Comme nous complimentons M. I… sur ses bergeries, il nous cite un propriétaire de la Chersonèse qui possède un million de moutons. Un jour que ce dernier voyageait en Allemagne, il entendit une contestation entre deux éleveurs qui se disputaient la prééminence, alignant chacun quelques milliers de têtes de bétail. « Moi, interrompit le Russe, je parie que les chiens