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la délivrance de Rome et la consécration définitive de l’unité italienne. Mais je ne veux pas différer d’un seul instant d’adresser à Votre Majesté, au nom de mon gouvernement, et, en mon nom personnel, mes félicitations sincères pour cet heureux événement. Le jour où la république française a remplacé par la droiture et la loyauté une politique tortueuse, qui ne savait jamais donner sans retenir, la convention de septembre a virtuellement cessé d’exister, et nous avons à remercier Votre Majesté d’avoir bien voulu comprendre et apprécier la pensée qui a seule empêché la dénonciation officielle d’un traité qui, de part et d’autre, était mis à néant. Libre ainsi de son action, Votre Majesté l’a exercée avec une merveilleuse sagesse. C’était bien peu pour le roi d’Italie, disposant de toutes les forces d’une grande nation, de briser les vieilles murailles de Rome et d’avoir raison de la faible armée pontificale. Mais ce qui est vraiment beau, vraiment grand, c’est d’avoir su, dans cette question délicate, allier si parfaitement avec les nécessités politiques tous les respects et tous les ménagemens dus aux sentimens religieux. Pour moi, malgré les circonstances difficiles qui m’ont amené ici, j’éprouve du bonheur à me trouver sur cette terre, où, comme dans ma chère France, on sent si bien battre le cœur du pays, et où les révolutions politiques elles-mêmes sont toujours empreintes de générosité et de grandeur. »

Il était impolitique de sacrifier Rome sans nécessité, sans profit, mais faire un crime à l’empereur d’avoir retenu d’une main Nice et la Savoie, tandis que de l’autre il livrait à Victor-Emmanuel l’Italie entière, ce n’était plus de la diplomatie.

La délégation de Tours s’émut. Le comte Chaudordy était de la vieille école[1], il avait à cœur d’affirmer et de sauvegarder nos droits jusqu’au jour où la France reprendrait possession d’elle-même. Il pria l’envoyé de la défense de surveiller sa parole et de ne pas sacrifier aux élans de son cœur les intérêts traditionnels de son pays : « Le gouvernement, lui écrivait-il, n’a pas pris de résolution

  1. Le comte Chaudordy, dans l’intérêt de notre politique, défendit l’ancienne carrière auprès de la délégation de Tours. M. Gambetta ne le contraria en rien, il comprit l’avantage qu’il y avait à atténuer notre état révolutionnaire par une représentation diplomatique correcte, traditionnelle, auprès des cours étrangères. Il maintint comme chargés d’affaires : M. Tinsot, à Londres, M. de Mosbourg, à Vienne, M. de Gabriac, à Pétersbourg, M. Lefèvre de Béhaine, à Rome ; il envoya M. de Chateaurenard à Berne, laissa M. Fournier à Stockholm, et me nomma ministre à Florence. C’est dans la même pensée que, vers la fin de la guerre, la légation de Constantinople fut confiée à notre ancien ministre à La Haye. Mais M. Baudin, à peine débarqué, était rappelé aussitôt par le gouvernement de M. Thiers. Le comte Chaudordy ne fut pas mieux traité, M. Thiers lui reprochait de ne pas avoir approuvé son langage à Vienne, Pétersbourg et Florence ; il l’accusait à tort d’avoir contre-carré son envoi comme plénipotentiaire à la conférence de Londres. Ceux qui sont à la peine ne sont pas toujours à l’honneur.