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— Eh bien ! répliqua le ministre, je vous saurai beaucoup de gré de ne plus revenir sur un sujet qui me peine et ne peut nous mener à rien. »

Il est des missions douloureuses. Être forcé de dire froidement à un pays qu’on aime, à l’heure où se jouent ses destinées, qu’il ne peut compter ni sur l’alliance qu’on lui a toujours promise, ni sur les traités qu’on a signés avec lui dans des temps prospères, quelle épreuve pour un diplomate 1 quel chagrin pour un homme de cœur !

La résistance de M. Favre n’eut pas de lendemain ; M. Nigra était un charmeur ; on lui livra le pape, convaincu que l’Italie, touchée de ce sacrifice, ne tarderait pas à paraître sur les champs de bataille. C’était l’espoir de tous les membres du gouvernement provisoire. Ils reprochaient amèrement à l’empereur ses chimères et ils sacrifiaient aux mêmes dieux 1 « La France, écrivait M. Favre à notre ministre à Florence, à l’issue d’une nouvelle entrevue avec M. Nigra, ne peut pas se mêler directement de la question romaine. Le pouvoir temporel a été un fléau pour le monde ; il est à terre, nous ne le relèverons pas. Mais nous nous sentons trop malheureux pour marcher dessus. Nous verrons le gouvernement du roi aller à Rome avec plaisir ; il est nécessaire qu’il y aille. L’ordre et la paix de l’Italie sont à ce prix. »

M. Nigra avait su vaincre les scrupules du ministre de la défense ; c’était un succès de plus à ajouter à tous ceux que, depuis tant d’années, il remportait.

A la date du 8 septembre, le gouvernement italien était édifié. Il savait qu’il pouvait en toute sécurité mettre la main sur le pape, qu’aucune puissance ne lui barrerait le chemin, et même qu’aucun gouvernement ne rappellerait son représentant de Florence à titre de protestation. La diplomatie européenne laissait tout faire à l’Italie depuis 1859. Elle lui avait permis de prendre la Romagne d’abord, puis les Marches, puis l’Ombrie ; Rome allait, sans opposition, couronner la liste de ses spoliations.

Le soir même, M. Ponzo di San-Martino partait pour Rome avec mission de faire comprendre au saint-siège que l’entrée des troupes italiennes dans les états pontificaux était une nécessité de salut public pour l’Italie et pour la papauté même. Le roi, dans une lettre autographe que son envoyé était chargé de remettre à Pie IX, protestait de ses sentimens filiaux, de sa foi catholique et de son respect pour l’église. Il priait le pape de ne pas refuser la main qu’il lui tendait, au nom de la religion et de l’Italie, « en ces temps où les institutions les plus vénérées étaient menacées ! »