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gouvernement ne peut plus supporter le statu quo en ce qui concerne Rome. Il va envoyer au saint-père le comte Ponzo di San-Martino, avec mission d’en obtenir un arrangement à l’amiable. Si ses propositions échouent, nous serons dans la nécessité d’occuper Rome. Notre intérêt et notre honneur nous le commandent. Le salut de la papauté ne l’exige pas moins. Nous espérions la sauvegarder après le départ des troupes françaises, mais les succès énormes de la Prusse ont complètement changé la face des choses. Ils ont abattu les conservateurs, exalté les violens ; notre inertie achèverait de tout perdre. Les partis démagogiques seraient les maîtres de Rome, et nous serions exposés aux plus grands désordres. Il ne nous est donc plus possible de retarder une solution inévitable. Nous la précipiterons de gré ou de force. Mais nous serions heureux d’avoir, en cette crise, l’appui moral du nouveau gouvernement français. Pourquoi ne feriez-vous pas un pas de plus ? Pourquoi ne dénonceriez-vous pas la convention du 15 septembre ? Vous l’avez constamment attaquée, elle est anéantie de fait. Cet acte serait le couronnement de votre « caractère, » et l’Italie vous en serait reconnaissante.

« — La convention du 15 septembre est bien morte, répondit mélancoliquement M. Favre à l’ambassadeur italien ; cependant je ne la dénoncerai pas. Si la France était victorieuse, je céderais à vos désirs ; mais elle est vaincue, et je ne veux pas affliger un vénérable vieillard déjà si douloureusement frappé, je ne veux pas contrister ceux de mes compatriotes que les malheurs de la papauté consterneront. Je ne dénoncerai pas la convention, je ne l’invoquerai pas davantage. Je ne peux ni ne veux rien empêcher. Je crois, comme vous, que si vous n’y allez pas, Rome tombera au pouvoir d’agitateurs dangereux. J’aime mieux vous y voir, mais il est entendu que la France ne vous donne aucun consentement, que vous accomplissez cette entreprise sous votre propre et unique responsabilité. »

Deux jours après, M. Nigra revint à la charge. M. Favre, comme l’avant-veille, fit appel à l’assistance de l’Italie, mais sans plus de succès : il importait à l’ambassadeur d’amener le ministre à déchirer de ses mains là convention du 15 septembre et à sanctionner l’occupation de Rome.

« Vous ne maintiendrez pas votre décision, dit-il, elle est trop en opposition avec votre passé politique. Elle blessera l’Italie sans aucun profit pour vous.

— Est-ce une condition que vous me posez ? demanda Jules Favre, en regardant fixement son interlocuteur.

— En aucune façon, répondit sans sourciller M. Nigra. J’ai le regret de persévérer dans la ligne que je vous ai indiquée.