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La révolution couvait à Paris depuis nos premiers désastres. Elle éclata au lendemain de Sedan. La fin de l’empire n’étonna personne ; elle était prévue par toutes les chancelleries étrangères. M. Visconti s’en préoccupait dans ses entretiens avec M. de Malaret depuis le 8 août ; elle était l’argument qu’il lui opposait lorsqu’il lui parlait d’alliance. « Les ministres se sont réunis sous la présidence du roi, télégraphiait notre envoyé le 3 au soir. Rome s’impose à leurs délibérations ; on s’attend à voir la révolution éclater à Paris, et il n’est pas douteux pour moi que le gouvernement italien, dès que l’empire sera renversé, ne se tienne délié de ses engagemens et ne fasse occuper militairement le territoire pontifical. M. Visconti, sans admettre absolument cette hypothèse, a répondu d’une manière confuse aux questions que je lui ai adressées à ce sujet. »

L’heure approchait, en effet, où Rome serait occupée par l’Italie. Le gouvernement ne voulait pas se laisser devancer par la révolution ; le seul moyen de l’arrêter, c’était de la prévenir. Mais la résolution était grave. Que dirait l’Europe et surtout la Prusse ? Le langage de la diplomatie prussienne manquait de netteté, il était contradictoire. La temporisation prévalut dans les conseils du roi. On résolut de pressentir les puissances et de négocier avec le pape sur les bases du mémorandum que M. Visconti avait, le 28 août, adressé aux gouvernemens catholiques et qui laissait au saint-père la souveraineté de la cité Léonine. Mais l’Unità cattolica, qui reflétait les sentimens de la cour de Rome, déclarait par avance, que jamais le pape ne s’entendrait avec Victor-Emmanuel, par la raison qu’il ne reconnaissait pas le roi d’Italie.


XVI

« Si l’Italie nous abandonne, elle est déshonorée, » disait M. Favre au moment où il prenait en main la direction de notre politique extérieure.

Le 6 septembre, M. Nigra arrivait au ministère des affaires étrangères ; il y mettait peu d’empressement, tous ses collègues s’étaient présentés dès la veille. Il protesta hautement de l’amitié de l’Italie pour la France et de son désir sincère de nous secourir. Il fit valoir avec tristesse, dit M. Favre[1], les raisons qui l’empêchaient d’agir. Il répéta plusieurs fois que, si l’Autriche ou l’Angleterre pouvaient nous donner leur concours, l’Italie serait heureuse de s’y associer. M. Favre le pressa en vain de devancer ce concours, M. Nigra se leva sans répondre à la demande du ministre ; il prit un air solennel et lui dit : « Je suis chargé de vous faire savoir que mon

  1. Jules Favre, Rome et la République française en 1871.