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Machiavel et Gioberti, pressenti la pennée du comte de Cavour et mesuré l’ambition du roi Victor-Emmanuel ? Les ministres se récrièrent à l’envi contre un plan aussi téméraire ; leur armée n’était pas prête, et à quoi bon sacrifier une poignée d’hommes, sans avantage pour personne, au plus grand détriment de l’influence diplomatique que le gouvernement du roi pourrait exercer si utilement en faveur de la France dans les pourparlers de la paix ? D’ailleurs, comment marcher sur Munich, sans traverser le territoire autrichien et sans s’être assuré, avant de se risquer dans une pareille expédition, du concours du cabinet de Vienne ?

Les conseillers du roi ne faisaient que répéter au prince ce que, depuis nos premiers désastres, ils n’avaient pas cessé de répondre à notre ministre : « Quand un de nos amis se jette par la fenêtre sans nous prévenir, disait M. Visconti-Venosta, ce n’est pas une raison pour qu’on saute après lui et se casse le cou, sans chance de le sauver. » C’était l’argument favori que cet homme d’état opposait à la diplomatie française lorsqu’elle devenait trop pressante.

Il en coûtait au prince de se laisser éconduire. Les ministres italiens ne l’avaient pas habitué à une résistance si sèche, si inflexible. Il pria son beau-père d’intervenir ; il insista pour qu’on demandât à l’Autriche de s’associer à une action commune. Le roi était contrarié, nerveux, il lui était difficile de s’expliquer sur ses desseins, il lui était pénible de se lamenter sur le sort de la France. Il fit preuve néanmoins de bonne volonté ; il écrivit à l’empereur François-Joseph. Mais, ce devoir accompli, il partit brusquement pour la chasse, laissant son gendre au palais Pitti, livré à ses réflexions. Hospes gravis, disait Cicéron en parlant de la visite de César à la villa Possone »[1].


XV

L’Italie sentait que les temps étaient proches, qu’avant peu ses destinées seraient accomplies. Elle suivait les événemens avec anxiété, elle spéculait froidement sur nos défaites. Nous nous

  1. Le prince Napoléon était violemment attaqué par la presse française, qui se demandait comment il avait pu quitter l’armée, et le nouveau ministre des affaires étrangères, le prince de La Tour-d’Auvergne, parlait de donner sa démission en face d’une mission sur laquelle il n’avait pas été consulté. Le prince pria M. de Malaret de télégraphier à son ministre qu’il était venu à Florence, en vertu d’un ordre de l’empereur formulé dans son passeport, pour demander la participation de l’Italie à la guerre et que le gouvernement italien avait demandé de consulter préalablement l’Autriche, dont la réponse serait vraisemblablement négative. Le prince n’a accepté aucune discussion, ajoutait la dépêche, sur une intervention diplomatique ; il a écrit à l’empereur pour avoir des ordres formels qu’il exécutera dès qu’il les recevra, ce qui ne peut tarder. Le 28, l’empereur télégraphiait à son cousin de rester à Florence.