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leur demander, ce me semble, de se le dire ailleurs que dans un traité conclu sous nos yeux et, pour ainsi dire, sous nos auspices. »

Ces arrangemens, si déplaisans pour notre amour-propre, témoignaient du peu de confiance qu’inspirait notre situation militaire. L’Autriche et l’Italie étaient renseignées. Elles escomptaient moins nos succès que nos revers. Il ne leur convenait pas de s’associer à nos défaites, mais elles se constituaient les alliées de nos victoires éventuelles pour en partager les bénéfices et pour revendiquer peut-être le rôle de médiateur. Le traité qu’elles nous offraient ne répondait certes pas à nos désirs, mais c’était quelque chose cependant de les amener à se mettre immédiatement sur le pied de neutralité armée et d’obtenir que le but final, la triple alliance, fût mentionné. Le traité maintenait d’ailleurs une solidarité d’autant plus précieuse que nous étions isolés et que le sentiment de l’Europe nous était contraire.

L’empereur, plus indécis que jamais, soulevait des objections ; il trouvait le traité mal libellé, la forme lui paraissait incorrecte, équivoque ; il lui répugnait surtout décéder sur Rome. « Signez toujours, lui disait le prince Napoléon, signez le traité malgré ses fautes d’orthographe ; avisez Vienne et Florence que vous avez signé ; engagez vos alliés. Les modifications s’imposeront, si nous sommes victorieux ; si nous sommes battus, vous aurez du moins un retranchement, un titre pour invoquer l’appui de vos amis ; mais, pour Dieu, signez avant que le sort des armes ait prononcé. »

Le fatalisme de l’empereur avait sous l’action de ses souffrances physiques changé de caractère : d’actif il était devenu passif ; il s’en remettait aveuglément au destin, il laissait les événemens s’accomplir sans chercher à les dominer. Il refusa de céder aux instances de son cousin, il demanda des modifications au traité, sans se douter que les armées prussiennes déjà prenaient l’offensive, et qu’avant trois jours le sort de la France se déciderait dans de suprêmes combats. « Je ne cède pas sur Rome, malgré les instances de Napoléon, » écrivait-il, le 3 août au soir, à une personne qui lui était chère[1]. Le comte Vimercati repartit. Il emportait, non signé, ce traité qui semblait marqué par la fatalité : c’était pour la troisième fois que l’empereur le repoussait depuis 1869.

Le 6 août, le roi Victor-Emmanuel était dans sa loge au théâtre du Cirque, avec Mme la comtesse de Mirafiore, lorsqu’on vint lui apporter des dépêches ; elles annonçaient nos premiers désastres. A peine les avait-il parcourues qu’il sortit précipitamment, en proie à une violente émotion. Rentré au palais Pitti, il se laissa choir

  1. Le prince Napoléon, les Alliances de l’empire.