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surcroît. Dans leur pensée, l’audace devait, suivant le précepte de Gioberti, couronner la prudence.

L’Autriche encourageait l’Italie dans ses revendications ; elle n’avait pas attendu la proclamation de l’infaillibilité pour dénoncer le concordat qui, depuis 1855, l’assujettissait à l’église[1]. Elle faisait bon marché du pape ; il est vrai que son parlement était libéral et son premier ministre protestant. Elle trouvait que la convention du 15 septembre n’avait plus de raison d’être et que Rome appartenait aux Italiens. Elle était plus soucieuse de se rattacher le cabinet de Florence et de se retrancher avec lui derrière une étroite neutralité que de le pousser dans les bras de la France et de cimenter une triple alliance. A Paris, elle faisait dépendre son concours armé de l’Italie, et à Florence, elle démontrait au cabinet italien les avantages d’une neutralité combinée.

M. de Gramont n’ignorait pas ce double jeu. « J’ai lieu de croire, télégraphiait-il au baron de Malaret à la date du 23 juillet, que Beust et le prince Napoléon ont suggéré au gouvernement italien de profiter des circonstances pour déchirer la convention du 15 septembre comme ne répondant plus aux besoins du moment, et qu’il importe de laisser au cabinet de Vienne le soin de négocier à nouveau avec le cabinet de Florence, afin de remplacer la convention par un nouvel accord qui aurait pour base l’entrée des troupes italiennes à Rome après le départ de notre corps expéditionnaire. Nous ne pourrons jamais souscrire à cela. La convention de septembre est le seul terrain possible. Veuillez vous employer à déjouer cette intrigue. »

C’était le second malentendu qui depuis l’incident espagnol éclatait entre Vienne et Paris. Déjà M. de Beust, à l’occasion de la dépêche du 14 juillet, dans laquelle il protestait contre l’interprétation excessive donnée par M. de Gramont aux engagemens de l’Autriche, avait dû envoyer un de ses confidens, M. de Vitzthum, à l’empereur pour atténuer le fâcheux effet produit par ses réserves[2]. Cette fois, les reproches que notre ministre des affaires étrangères adressait à la duplicité autrichienne se croisaient avec une dépêche

  1. « Le vote de l’infaillibilité, disait M. de Beust, a changé la situation de l’une des parties contractantes ; il a fait du gouvernement pontifical une puissance qui n’admet ni discussion ni tempérament. Dieu ne signe pas des traités qui définissent et limitent sa puissance. »
  2. De Paris, le comte de Vitzthum se rendit à Florence. Il était chargé de pressentir la pensée du gouvernement italien et de s’entendre avec lui sur les éventualités de la guerre. L’empereur se flattait qu’il combattrait les objections de l’Italie et la rallierait à la triple alliance, mais l’envoyé de M. de Beust s’appliqua, avant tout, à la rattacher à l’Autriche par les liens d’une étroite neutralité.