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y regardait avec rigueur, pourrait soupçonner la traduction de M. Lacroix de n’être pas un chef-d’œuvre. Un rare monument de patience, d’adresse, d’ingéniosité, oui, sans doute! En maint passage, M. Jules Lacroix, avec une souplesse imprévue, rend littéralement le texte; en beaucoup d’autres, sans s’astreindre à piétiner sur les traces de Shakspeare, il l’accompagne fidèlement; il marche à ses côtés et paraît libre; il donne, en place de la médaille originale, et sans que l’on perde au change plus qu’il n’est nécessaire, une monnaie française; même, plus d’une fois, sans oublier lui-même son auteur, il semble inventer des vers de poète. Mais ne forçons point l’éloge. La discrétion de ces remaniemens, dit-on, est admirable; acceptons que M. Lacroix ait réduit, pour la commodité du spectateur, le nombre des personnages accessoires; acceptons même qu’il ait supprimé certains dialogues de comparses, qui marquent pourtant les progrès et les repos de l’action, et qui tiennent dans le drame shakspearien la place du chœur dans le drame antique. Admettons qu’il ait supprimé la scène du portier, quoiqu’elle offre un merveilleux contraste, par son comique à la fois innocent et grossier, avec les scènes terribles qui l’encadrent; admettons qu’il se prive de lady Macduff et de son fils, quoique la préciosité de leur entretien soit une oasis sur le penchant le plus désolé du drame et que cette figure aimable de femme ne soit peut-être pas inutile auprès de lady Macbeth. Excusons tous ces retranchemens : si dur que soit le sacrifice, au moins chaque mutilation est nette et ne corrompt pas le corps de l’ouvrage. Mais le procédé de la transposition est singulièrement plus dangereux; le traducteur se l’est permis : en a-t-il fait toujours un bon emploi? Reculer jusqu’à Inverness, au moment où Macbeth reçoit Duncan pour son hôte, après que le meurtre est concerté, les protestations de dévoûment qu’il lui fait à Forres, après sa loyale victoire, n’est-ce pas prêter au personnage une bassesse d’hypocrisie et tout au moins un sang-froid que Shakspeare ne lui connaît pas? Rejeter au milieu de cette scène les poétiques paroles par lesquelles Duncan, à son arrivée dans le fatal château, paraît se souhaiter à lui-même la bienvenue : — This castle hath a pleasant seat, — et la réponse de Banquo: — This guest of summer, — The temple haunting-martlet, — n’est-ce pas perdre le bénéfice dramatique de ce délicieux et ironique augure ?

Ce n’est pas le lieu, dans cette étude, d’examiner le détail d’une traduction, en tant que traduction. J’ignore si, tout de bon, M. Lacroix prend le cercle d’or, c’est-à-dire le diadème, dont Macbeth sera couronné, pour le cercle d’or métaphorique où le destin l’entraîne ; j’ignore s’il prend tout de bon le verbe sicken pour un verbe actif: aussi bien, peu importe. Mais pardonnerai-je que Macbeth, aux premiers conseils