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bien des électeurs, dont la pudeur s’était trouvée offensée, n’avaient pas encore pardonné au candidat démocrate ce malencontreux manquement à la chasteté.

L’élection est close ; toutes ces histoires, qui relèvent plus du commérage que de la politique, vont promptement s’oublier. M. Blaine cessera d’être un infâme trafiquant de faveurs législatives, et Cleveland le débauché est déjà redevenu l’honnête M. Cleveland. Il fallait, pour que ces racontars eussent pris tant d’importance pendant la campagne, l’absence absolue, que l’on a pu constater dans les trois mois écoulés, de toute discussion sérieuse sur les grandes questions politiques à l’ordre du jour. C’est qu’en réalité il n’y avait à l’ordre du jour aucune grande question politique. Les États-Unis ont, depuis plusieurs années, à certains égards cette bonne fortune, à d’autres cette condition fâcheuse, que les deux grands partis entre lesquels ils sont divisés en soient réduits à se faire tous les quatre ans une guerre impitoyable, sans qu’aucun intérêt national d’importance capitale soit attaché au résultat. On vient de voir que la lutte y perd singulièrement en dignité. Le pays lui-même, en revanche, y gagne en tranquillité. L’élection qui vient d’avoir lieu a laissé fort indifférente l’immense majorité des citoyens. L’agitation désordonnée qui s’est produite sur quelques points et le tapage assourdissant que font les politiciens ne doivent pas tromper l’observateur. Démocrates et républicains ont voté partout avec la discipline habituelle, se conformant aux injonctions des chefs de parti avec docilité, mais sans enthousiasme, bien convaincus que les destinées de l’Union ne dépendaient nullement du succès de l’un ou de l’autre candidat. Tous les grands problèmes légués par la guerre de sécession, émancipation civile et politique des noirs, reconstruction des états du Sud, rétablissement de l’égalité des droits et des libertés locales sur tout le territoire fédéral, sont depuis longtemps résolus. Les démocrates, même les plus exaltés, ceux que l’on appelait jadis les démocrates-Bourbons, ont cessé de rêver une résurrection du système esclavagiste. Leur ancienne doctrine des State Rights, de la souveraineté des états, n’a plus d’autre valeur que celle d’une réminiscence historique. Que l’on rapproche les deux programmes (platforms) adoptés cette année par les conventions nationales, on se convaincra qu’ils diffèrent plus par les mots que par le sens. Tous deux réclament une stricte application de la réforme administrative, promettent de protéger les Américains au dehors, de défendre le travail national contre la concurrence résultant de l’immigration excessive de travailleurs étrangers. L’un, aussi bien que l’autre, se prononce contre les monopoles, contre l’abus des concessions de terres; dans chacun d’eux, on essaie de gagner les Irlandais