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transactions peu édifiantes, fondement d’une très grosse fortune, de formidables dossiers, notamment les fameuses lettres Mulligan; la discussion des faits allégués contre M. Blaine a rempli pendant plusieurs semaines d’innombrables colonnes de journaux. On l’a traîné dans la boue en l’injuriant comme le plus vil des courtiers marrons, comme le dernier des escrocs. M. Blaine n’était sans doute pas à l’abri de tout reproche; en tout cas. il n’a que faiblement répondu à ces attaques; le plus souvent même, il a feint de les ignorer.

Mais le parti ne pouvait rester sous le coup d’une aussi dangereuse agression. Il fut résolu que, par une diversion habile, les républicains porteraient la guerre dans le camp ennemi. On fut tout heureux, à force de scruter le passé de M. Cleveland, d’y déterrer un péché de jeunesse. La trouvaille était belle : l’incorruptible gouverneur de New-York n’aurait pas toujours été chaste. L’affaire se ramène à ceci : M. Cleveland aurait eu jadis une liaison avec une veuve peu digne, semble-t-il, par son caractère et ses habitudes d’intempérance, de l’affection qu’elle avait inspirée. Sur ce thème ont été brodées d’infinies variations. Des scènes pénibles ont été racontées en grand détail; il a été question d’un enfant né au cours de la liaison et non reconnu par M. Cleveland pour cause de paternité douteuse. L’enfant aurait grandi dans un asile d’orphelins, la mère aurait été placée dans un établissement d’aliénées ou d’incurables. Il y avait un fond de vérité dans cette histoire; M. Cleveland n’a pas hésité à le déclarer. Mais des témoignages non suspects attestent que dans cette affaire, qui avait eu des côtés douloureux, M. Cleveland s’était conduit en galant homme et que rien, dans ce qui s’était passé, ne pouvait entacher son honneur. Restait cependant le fait de la liaison, avoué par le candidat présidentiel. Tous les puritains de la Nouvelle-Angleterre se sont voilé la face devant cet aveu cynique. Des femmes en grand nombre ont pris fait et cause contre le contempteur du respect dû à leur sexe, et, grâce aux feuilles républicaines, peu s’en est fallu que l’honnête M. Cleveland ne fût transformé en un abominable débauché dont toutes les familles devaient s’éloigner avec horreur. Était-il possible de porter à la présidence un homme qui avait blessé d’une telle atteinte la morale sociale et les lois religieuses? La question a été discutée sérieusement en ces termes pendant quelque temps, et il est certain que l’aventure dont on a cherché à faire de M. Cleveland le peu chevaleresque héros a nui sensiblement à sa candidature auprès d’un certain nombre de personnes respectables dans le parti des indépendans. Les résultats de l’élection dans plusieurs états de la Nouvelle-Angleterre paraissent indiquer qu’au moment du vote