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les combats. César, en racontant les funérailles des Gaulois, ajoute : « Ces funérailles, eu égard à leur civilisation, sont magnifiques et somptueuses. Tout ce que l’on croit avoir été cher au défunt pendant sa vie, on le jette dans le bûcher, même les animaux, et, il y a peu d’années encore, on brûlait avec lui les esclaves et les cliens qu’il avait aimés. » Dans le Michoacan, sept femmes de naissance noble devaient être sacrifiées à la mort du roi ; chacune avait ses fonctions spéciales, et nul ne doutait que le roi ne conservât par-delà la tombe les hommages et les respects qui lui étaient rendus pendant sa vie. Dans les premiers temps du royaume de Tezcuco, quelques victimes seulement étaient immolées aux funérailles, mais leur pompe grandissant avec le luxe et la richesse du pays, le nombre augmenta rapidement. Pour honorer le roi Nezahualpilli, on égorgea successivement deux cents hommes et cent femmes. Quand les victimes étaient rangées autour du bûcher, un des plus proches parens du roi leur adressait une longue harangue pour les remercier des services qu’ils avaient rendus au défunt et pour leur recommander la même fidélité dans les nouvelles régions qu’elles allaient habiter avec lui. Souvent ces malheureux se présentaient volontairement et réclamaient l’honneur de mourir avec leur maître. C’est sans doute ce même sentiment qui poussait la veuve hindoue à se précipiter sur le bûcher qui allait consumer son époux. L’immolation de victimes humaines n’est donc pas toujours due à la seule cruauté, à la seule superstition ; elle peut avoir pour cause des sentimens plus élevés, l’amour et le dévoûment.

C’est aussi à un sentiment élevé qu’il faut attribuer l’étrange coutume, transmise presque toujours par une longue suite d’ancêtres, de manger ses parens après leur mort. Nous avons cité des exemples qui remontent à la plus haute antiquité ; il en est bien d’autres encore, et nous n’avons que l’embarras du choix. Les Fans, les M’Bengas, voisins de nos établissemens du Gabon, mangent les corps de leurs pères. Garcilaso de la Vega raconte que les Acumas, qui vivaient sur les bords du Marañon, se réunissaient pour dévorer, rôtis ou bouillis, suivant leur goût, les parens qu’ils avaient perdus. Certaines peuplades de l’Inde croyaient se rendre agréables à la déesse Kali en mangeant ceux des leurs qui étaient atteints de maladies incurables. Les habitans des îles Sandwich rendaient le même hommage aux chefs qu’un jugement solennel prononcé après leur mort déclarait dignes de cet honneur. Ils les mangeaient par amour, disaient-ils !

Si l’on mangeait des parens ou des chefs regrettés par un sentiment de vénération, on mangeait ses ennemis, ceux surtout remarquables par leurs vertus guerrières ou leurs forces physiques, dans