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femmes quand elles commencent à vieillir. Ils donnent comme raison que ce serait dommage de perdre une si bonne nourriture. D’autres écrivains assurent, il est vrai, que ces hommes se cachent pour se livrer à ces abominables repas et qu’ils les nient avec énergie. Malgré ces dénégations intéressées, le fait de l’anthropophagie de la plupart des peuples indigènes de l’Australie paraît absolument prouvé. Sur la rivière Darling, lors de l’initiation, qui a lieu pour les jeunes gens à l’âge de seize ans, le néophyte ne doit se nourrir que de sang humain pendant les deux premiers jours des cérémonies fort longues et fort douloureuses. Les parens et les amis se présentent avec empressement pour cet étrange service. Le bras est serré par une ligature, la veine ouverte, le sang reçu dans un vase de bois. On l’offre immédiatement au jeune homme qui doit le recevoir à genoux sur un lit de branches de fuchsia et le lapper avec sa langue comme un chien.

Les insulaires des Nouvelles-Hébrides dévoraient non-seulement leurs prisonniers et les ennemis tués dans le combat, mais ils déterraient aussi les cadavres des leurs et s’empressaient de les échanger contre les morts des tribus voisines pour se repaître sans scrupule de cette chair infecte. Le cannibalisme n’est pas moins florissant aux îles Sandwich, et le révérend J. Macdonald, après une résidence de huit années comme missionnaire, dit les habitans plongés dans la plus extrême démoralisation. La monnaie courante est le cochon; les femmes se vendent de un à dix cochons ; la beauté compte pour peu, et les prix varient seulement selon l’offre et la demande. Les habitans de la Nouvelle-Zélande étaient, eux aussi, des anthropophages endurcis. L’usage de manger les prisonniers avait été transmis par les pères ; le goût pour la chair humaine se continuait par atavisme, et aucun enseignement ne parvenait à les en détourner. On rapporte qu’un jeune homme doux, bien élevé, employé dans une de nos missions, reconnut un jour une jeune fille qui s’était enfuie de chez les siens; il la ramène à son village, la tue d’un coup de fusil et s’empresse d’inviter ses amis à venir la manger avec lui.

Cessons ces tristes récits; aussi bien la plume tombe des mains d’horreur et de dégoût. Il faut cependant réclamer encore l’attention du lecteur pour pénétrer les mobiles si divers qui ont conduit les hommes à cet excès de dégradation.


V.

La faim, la folie qui l’accompagne, ont sans doute été bien souvent la cause du cannibalisme. Les guerres, les famines, les naufrages, ne nous laissent que l’embarras du choix. Qui ne se souvient