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débarquait sur la côte mexicaine, là où s’élève aujourd’hui la ville de Vera-Cruz, de nombreux prisonniers étaient égorgés en l’honneur d’un nouveau temple élevé à Coatlan. Ce devait être la dernière de ces tristes fêtes ; les Espagnols vainqueurs s’empressèrent de les abolir.

En dehors des fêtes extraordinaires, dont nous venons de parler, le nombre des victimes qui périssaient dans les saturnales annuelles était considérable. Juan de Zumaraga, le premier évêque de Mexico, le porte à vingt mille dans une lettre adressée au chapitre général de son ordre. Gomara va plus loin encore et l’estime à cinquante mille. Ces chiffres, que contredit Las Casas dans son célèbre Mémoire, peuvent bien être exagérés, mais des monumens que l’on ne peut récuser restaient encore debout lors de la conquête et attestaient la cruauté des Mexicains. Nous citerons les quauhxicalco, immense ossuaire, où venaient s’accumuler les ossemens des malheureux égorgés sur l’autel des idoles, et les tzompantli, grands madriers avec des barres transversales, où les têtes des victimes étaient rangées avec ordre. Ici nous laissons la parole à un témoin oculaire, Andres de Tupia, et nous ne pouvons mieux faire que de reproduire son naïf récit : « Il y avait, enfoncées en face de la grande tour, dit-il, soixante ou soixante-dix poutres éloignées de la tour d’une portée d’arbalète, posées sur un grand théâtre fait de chaux et de pierres et sur les gradins d’icelui beaucoup de têtes de morts fixées avec de la chaux et les dents tournées en dehors. Il y avait d’un côté et de l’autre de ces poutres, deux tours faites de chaux et de têtes de mort, sans aucune autre pierre ; autant que l’on pouvait voir, les poutres étaient séparées l’une de l’autre d’un peu moins d’un vare[1] de mesure et depuis le haut de ces poutres jusqu’en bas étaient disposés des bâtons, autant qu’il en pouvait tenir et dans chaque bâton cinq têtes de mort étaient enfilées par les tempes. Celui qui écrit ceci et un certain Gonzalo de Umbria ont compté les bâtons qu’il y avait et multipliant par cinq têtes chaque bâton, de ceux qui étaient entre poutre et poutre, comme je l’ai dit, nous trouvâmes qu’il y avait cent trente-six mille têtes. » Celles des prisonniers de guerre, convient-il d’ajouter, étaient seules ainsi conservées ; les misérables esclaves ne méritaient pas tant d’honneur[2]. Nous nous sommes étendu sur les sacrifices et les fêtes des Mexicains, parce que, sur aucun autre point du globe, sauf peut-être quelques parties encore peu connues de l’Afrique, ces fêtes n’ont été

  1. Le vare est de 0m,80 environ.
  2. Ces détails extraits de la Coleccion de documentos para la historia de Mexico, ont été donnés par le docteur Hamy à la Société d’anthropologie.