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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

de l’intérieur, en particulier, vivaient dans un dénûment trop habituel. Necker signalait encore, en 1785, la misère comme étant « très grande » en Bretagne. Dire qu’elle n’existe plus dans des proportions étendues serait malheureusement contraire à des faits trop avérés. Mais la diminution se montre dans la transformation totale de nombreux villages et dans l’accession à la propriété d’une très grande quantité d’individus. On ne constate plus aujourd’hui les résultats affligeans que nous trouvons consignés, il y a quarante ans, dans les procès-verbaux des délibérations du conseil général des Côtes-du-Nord, où l’on voit que, dans telle commune, il y avait 600 mendians sur 8,000 habitans. À Vitré, sur 8,000 habitans, on en comptait environ 6,000 qui avaient à peine quelques moyens d’existence. « Il faut avoir vu un tel dénûment, écrivait M. Villermé à la même date, pour s’en faire une idée ; il faut avoir pénétré dans la demeure d’un pauvre paysan breton, dans sa chaumière délabrée, dont le toit s’abaisse jusqu’à terre, dont l’intérieur est noirci par la fumée continuelle des bruyères et des ajoncs desséchés, seul aliment de son foyer. C’est dans cette misérable hutte, où le jour ne pénètre que par la porte et s’éteint dès qu’elle est fermée, qu’il habite, lui et sa famille demi-nue, n’ayant pour tout meuble qu’une mauvaise table, un banc, un chaudron et quelques ustensiles de ménage en bois et en terre ; pour lit qu’une espèce de boîte, où il couche sans draps sur un matelas où la baie d’avoine a remplacé la laine, tandis qu’à l’autre coin de ce triste réduit rumine, sur un peu de fumier, la vache maigre et chétive (heureux encore s’il en a une), qui nourrit de son lait ses enfans et lui-même. » Dirons-nous que nous n’avons jamais eu de pareils spectacles sous les yeux ? La Bretagne les montre encore plus d’une fois, mais beaucoup moins fréquemment, et, en outre, l’expérience nous a convaincu qu’on ne doit pas toujours proportionner en Bretagne le degré de la misère à l’état défectueux du logement. La condition de la propriété rurale et des exploitans du sol, celle du fermage, encore si remarquable sur certains points par des particularités qui remontent au moyen âge, enfin le salaire et la vie matérielle des travailleurs agricoles, tel est le cercle que nous allons parcourir.

II. — L’ÉTAT DE LA PROPRIÉTÉ ET LES PAYSANS-CULTIVATEURS.

Nous devons faire une classe à part de ceux qui possèdent le sol et qui en tirent parti soit par l’agriculture, soit par l’exploitation des autres richesses qu’il livre aux efforts du capital et du travail, et qui fournissent à des populations entières leurs moyens d’existence.