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Le produit français est plus coûteux, à ce point que le produit similaire allemand peut se présenter sur nos marchés, malgré la distance et les frais de transport, malgré les droits de douane, à un prix de vente égal ou même inférieur.

La modération des salaires, jointe à l’emploi des machines, procure ainsi un avantage très sérieux à nos concurrens étrangers pour un grand nombre de produits dont ceux-ci nous empruntent l’idée et le modèle. S’il est facile d’expliquer et de justifier le renchérissement de la main-d’œuvre en France, et surtout à Paris, où les conditions de la vie sont devenues si coûteuses, il est également permis de faire observer qu’une part de cette augmentation considérable des salaires peut être attribuée à des causes moins naturelles, à la fréquence des grèves, à la pression des syndicats, à des exigences abusives qui sacrifient l’avenir au présent. Quoi qu’il en soit, les conséquences de cet état de choses sont très périlleuses pour le travail national, et elles menacent les industries d’art aussi bien que les autres. Les comparaisons établies devant la commission d’enquête sont décisives. L’écart qui existait déjà entre l’industrie française et l’industrie étrangère, quant aux frais de production, s’est augmenté depuis 1870, particulièrement pour ce qui concerne la main-d’œuvre. Les salaires ont haussé partout, mais nulle part ils n’ont été portés aussi haut que dans les ateliers français. Il faudrait s’en féliciter si ce mouvement correspondait à un accroissement simultané de la production et de la vente ; mais il n’en est pas ainsi. Avec un prix de revient plus élevé, nos produits, à qualité égale, se vendent plus cher et, par conséquent, ils se vendent en moins grande quantité, refoulés des marchés étrangers et poursuivis jusque sur les marchés français par une concurrence qui est de plus en plus active. Voilà le fait incontestable. Ce péril, auquel échappent encore quelques industries privilégiées, compromet dès à présent la plupart des ateliers parisiens. Il n’est pas nécessaire de reproduire ici les chiffres ni les réflexions qui abondent, sur ce point, dans les procès-verbaux de l’enquête. Sauf de très rares exceptions, les industriels appelés devant la commission se sont accordés à déclarer que, non-seulement les étrangers nous serrent de près pour le mérite artistique, mais encore qu’ils nous devancent pour le progrès de la fabrication mécanique et qu’ils obtiennent, par l’économie de la main-d’œuvre, des prix de revient contre lesquels il nous devient difficile de lutter. Le chiffre de nos exportations diminue d’année en année, et c’est l’Allemagne, où l’industrie artistique et décorative n’existait pour ainsi dire pas il y a vingt-cinq ans, c’est l’Allemagne qui est devenue notre adversaire la plus redoutable.