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reconnaissait la nécessité de nous donner des compensations, il se faisait fort de nous les assurer. C’est ce qu’il a appelé depuis des négociations dilatoires[1].

Le prince Napoléon, dans la brochure qu’il a publiée sur les alliances de l’empire, a passé sous silence ces pourparlers équivoques. Il ne savait pas tout. Cependant le temps d’arrêt que subirent alors nos négociations avec le cabinet de Vienne et la cour de Florence, et l’étrange nomination de M. de La Guéronnière à Bruxelles, auraient dû éveiller son attention.

Ce fut l’Italie qui reprit les négociations; elle était impatiente de compléter son œuvre. Rome était le prix de son alliance.

« Il serait difficile, a dit le prince Napoléon[2], de préciser le jour et les termes des premières ouvertures. Ce ne furent d’abord que des conversations fortuites, des lettres intimes traitant de beaucoup de sujets. L’empereur et le roi d’Italie échangeaient leurs vues sur un traité défensif pouvant devenir offensif. Ces négociations, commencées en 1868, se prolongèrent jusqu’au mois de juin 1869. Les souverains avaient souvent recours à des intermédiaires. M. Rouher était le conseiller de l’empereur, M. de La Valette son confident. Le président du conseil en Italie, le général Menabrea, n’intervint que lorsque les négociations furent déjà avancées. M. de Beust savait tout; il était tenu au courant par M. de Metternich, qui agissait moins comme ambassadeur que comme familier des Tuileries. On échangea beaucoup de notes et de lettres particulières. J’étais souvent, mais d’une façon irrégulière, le dépositaire de ces confidences.

« Lorsque les négociations prirent corps dans un projet de traité, elles passèrent, bien qu’à titre officieux, du cabinet des souverains dans les chancelleries. L’Italie étant une monarchie constitutionnelle, il fallut de nécessité s’en expliquer avec les ministres. Ce changement de terrain accéléra les résolutions. Les souverains

  1. Il y a toujours dans les affirmations les plus hardies de M. de Bismarck un fond de vérité. Il était autorisé à dire, dans son accablante circulaire du mois de juillet 1870, malgré nos démentis, que, même après les déboires de l’affaire du Luxembourg, l’empereur ne renonçait pas à la Belgique et qu’il ne restait pas insensible à ses offres. Mais le chancelier allemand dénaturait les faits en reportant à 1868 le projet de traité que M. Benedetti avait laissé entre ses mains au mois d’août 1866. Il lui importait de bien démontrer à l’Angleterre qu’au prix de la Belgique, il n’eût dépendu que de lui, jusqu’à la dernière heure, de conjurer la guerre. Je crois avoir rétabli les faits dans mon étude sur la Politique française en 1866, avec les dépêches du général Govone et les papiers de Cerçay. Il n’y eut, de 1868 à 1869, que des pourparlers fugitifs qui n’ont laissé aucune trace écrite. M. Benedetti, notre ambassadeur à Berlin, n’y fut point mêlé.
  2. Les Alliances, de l’empire en 1869 et 1870, par le prince Napoléon Bonaparte (Jérôme).