Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieutenans, au prince Eugène, qu’il avait eu tort de disséminer son armée, de hasarder une troupe peu nombreuse qui avait été enlevée et qui devait l’être ; il lui rappelait que c’était une règle de la guerre de « ne pas faire de petits paquets, » qu’un corps de 25 à 30,000 hommes pouvait seul être isolé sans péril, qu’un régiment pouvait être tourné et coupé, que quatre régimens ne l’étaient pas, parce qu’ils formaient une masse compacte capable de résister. Qu’on applique ces maximes de guerre à toutes les situations, même à celle du Tonkin : cela veut dire que, depuis longtemps, on aurait dû mettre noire corps expéditionnaire en mesure de se suffire à lui-même, qu’en envoyant, escouade par escouade, des forces insuffisantes, on les exposait, on les compromettait, et on risquait sans cesse d’être entraîné par de malheureux incidens au-delà de toutes les prévisions. C’est ce qui est toujours arrivé. Si, à l’origine, l’infortuné Rivière avait eu, non pas une armée, mais un millier d’hommes, il n’aurait pas péri dans l’obscure échauffourée qui a été le point de départ de toutes les complications. Si le chef militaire qui a été envoyé, il y a quelques mois, sur la route de Lang-Son avait eu les forces qu’il devait avoir, sans lesquelles sa marche n’était qu’une imprudence, il n’aurait pas été arrêté, réduit à se dégager par une pénible retraite, et le douloureux incident de Bac-Lé n’aurait pas encore une fois tout compromis. Si, après les derniers succès de M. le général de Négrier, de M. le colonel Doniiier, nos cootingens avaient été suffisans, ils n’en seraient pas à se retrancher, à se défendre contre des Chinois qu’ils ne peuvent poursuivre. Si M. l’amiral Courbet, il y a quelques semaines, avait eu les troupes qui lui étaient nécessaires pour l’occupation de Formose, il n’aurait pas été retenu devant Kelung, devant Tamsui. Partout, à toutes les dates, c’est l’insuffisance des forces qui a empêché de prévenir les difficultés, ou de les dominer, ou d’agir à propos, et c’est parce qu’au début on a craint de dire la vérité, de demander des crédits relativement modestes, qu’on se trouve entraîné maintenant à des sacrifices beaucoup plus sérieux.

La conclusion est donc que, si l’on veut en finir comme on le dit aujourd’hui, il n’y a plus à marchander avec la nécessité, et qu’au lieu de perdre son temps à la recherche de secrets militaires ou diplomatiques dont la divulgation est souvent dangereuse, la commission n’a rien de mieux à faire que de proposer de sérieux moyens d’action. Et c’est d’autant plus vrai qu’il y a une circonstance nouvelle avec laquelle après tout on doit compter. Autrefois, on disait volontiers que les Chinois ne se battaient pas, qu’ils prenaient la fuite dès qu’ils craignaient d’être tournés, qu’ils n’étaient pas armés à l’européenne ; maintenant ils se battent, ils ont des armes perfectionnées, et bien que le courage, l’instruction, la discipline, gardent certes toujours leur supériorité sur le nombre, une poignée d’hommes ne peut pas en fin de