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succès d’une œuvre et l’engouement d’un jour, il serait tout ce que l’on voudra, mais non plus l’art dramatique. La poésie tout de même. Il y a, dans les Nouvelles Méditations un chant d’amour :


Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre,
Le doux frémissement des ailes du zéphire
            À travers les rameaux,
………………………


que l’on peut regarder comme absolument caractéristique de Lamartine, qualités et défauts ; et il y a dans les Contemplations une pièce étonnante, les Mages, où l’on retrouve aisément Victor Hugo tout entier, défauts et qualités :


Pourquoi donc faites-vous des prêtres
Quand vous en avez parmi vous ?
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Relisez-les, mais de tout près, avec une méticuleuse attention, et dites si, dans la seconde, l’incompréhensibilité même des images, ou à tout le moins l’impossibilité de les représenter dans le marbre ou sur la toile, jointe au désordre du mouvement, et si, dans la première, l’indécision du dessin, la mollesse des contours, et la fluidité même de la forme n’y sont pas le signe, et la marque, et presque le tout du poète ? C’est ici l’objection, et c’est ici l’interrogation : à savoir, s’il n’y a pas un charme et des beautés inhérentes à toute poésie vraiment digne de ce nom qui finiront par périr sous l’étreinte, en quelque sorte, de ces formes trop savantes. Un poète seul, quelque jour, décidera la question. Mais, en tout cas, né ou à naître, il est certain qu’il ne pourra pas entièrement se soustraire, même s’il veut les combattre, à l’influence des Parnassiens ; et il paraît plus que probable, dès à présent, qu’il lui faudra commencer par procéder d’eux. Et sa gloire suffira, nous dit-on, à la leur. Trop heureux de l’avoir préparé, les Parnassiens, s’il en survit quelqu’un en ce temps-là, lui pardonneront de se révolter, comme ces enfans drus et forts dont a parlé le moraliste, contre ceux mêmes qui l’auront nourri. C’est le dernier mot du livre de M. Catulle Mendès, dont nous n’aimons pas beaucoup les vers et dont nous goûtons peu la prose, mais qui est un homme d’esprit, et de cette sorte d’esprit qu’on appelle esprit de finesse.

F. Brunetière.