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en Angleterre ! A Hong-Kong il en fut de même. Quoi de plus comique, en vérité? Nous avons un désir très sincère de vivre en bonne harmonie avec l’Angleterre, et ce ne sera pas certainement à cette occasion que nous nous brouillerons avec elle, ou plutôt avec ses possessions d’Australie. Celles-ci savent très bien qu’avec une bonne loi d’extradition et une escouade de policemen, elles n’auront jamais rien à craindre de ce qui cause leur inquiétude. D’ailleurs, nous en avons l’assurance, elles n’auront jamais les récidivistes pour voisins. Le deviendraient-ils que la lutte pour l’existence ne leur laisserait pas les loisirs qui sont nécessaires à des projets d’évasion. S’enfuir, sortir hors d’une île, n’est pas chose tellement aisée : il faut des fonds, une embarcation et des vivres. Les capitaines anglais le savent mieux que personne, eux qui, pour une forte somme, ont fourni à M. Henri Rochefort et à ses amis les moyens de quitter Nouméa et de débarquer à Sydney.

Toutefois, s’il est vrai que les colonies australiennes croient que l’arrivée des récidivistes à Nouméa est réellement un danger pour elles, un aussi grand danger que l’eût été l’immigration chinoise, devons-nous persister à les mécontenter? Ce n’est pas notre avis. Un jour n’est peut-être pas éloigné où elles deviendront des états indépendans, et la Nouvelle-Calédonie n’aurait rien à gagner à les avoir pour ennemis. C’est un cas à prévoir, et si tant d’autres raisons ne s’opposaient pas à l’envoi des récidivistes à Nouméa, celle de nous aliéner des états comprenant deux millions d’individus devrait nous faire réfléchir quand il en est temps encore. Les transactions commerciales entre Sydney et Nouméa sont importantes; il serait fâcheux de les rompre pour une tentative qui ne peut avoir de durée.

Tout d’abord, on avait pensé un instant que les îles Marquises ou Tuamotus, situées dans l’Océan-Pacifique et faisant partie des dépendances du gouvernement de Tahiti, offriraient les conditions désirées. En effet, on aurait eu là sous la main des groupes d’îles d’une importance incontestable et des centres de production, d’activité commerciale faciles à développer dans un avenir prochain. Aux îles Marquises, des vallées profondes et d’une fertilité admirable peuvent se prêter à la culture du café, de la vanille et des autres riches produits exotiques. Aux Tuamotus, la culture si simple du cocotier permettrait aux relégués de bonne volonté de s’assurer, après sept années d’une attente peu pénible à supporter, un revenu considérable. On estime à 5 francs par an le rendement d’un seul cocotier : l’arbre, une fois planté, ne demande que très peu d’entretien, et la fabrication du coprah, qui consiste à faire sécher et à mettre en sacs la pulpe de la noix de coco, est à la portée de l’intelligence la plus bornée, et ce n’est pas l’intelligence qui manque à un récidiviste parisien.

Une question de moralité s’alliant à un sentiment philanthropique