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bourses de nos officiers et de nos fonctionnaires. C’est à notre avis tout ce que les colons gagneront à la relégation. Ce gain compenserait-il les dangers sans nombre que la présence des récidivistes en liberté, unis aux malfaiteurs qui déjà se trouvent à Nouméa, leur fera courir ? C’est folie de le supposer.

Ce n’est donc pas sans une vive surprise que nous avons entendu au Palais-Bourbon l’honorable M. Richard Waddington proposer la Nouvelle-Calédonie comme remplissant l’objet que la loi des récidivistes se propose. Se figurant que ceux-ci n’allieront jamais leurs mauvais instincts à ceux des libérés, il leur distribue déjà les terres laissées libres par la population indigène en décroissance. Il indique l’île des Pins comme devant être un dépôt provisoire ; les relégués y seraient « entretenus » jusqu’au jour où ils auraient trouvé à s’établir. « Ils pourront constituer une famille, puisque les femmes condamnées à la détention en France seront également transportées, » M. Waddington reconnaît pourtant que ce ne peut pas être un bon élément de civilisation, mais le gouvernement pourra envoyer des « femmes libres. » Dans tous les cas, a-t-il ajouté, on ne transportera que des hommes valides qui pourront travailler utilement à la prospérité de la colonie.

Eh bien ! les relégués ne travailleront pas plus en Nouvelle-Calédonie qu’ils ne travaillent en France du moment qu’ils seront « entretenus » dans le dépôt provisoire de l’île des Pins, et en compagnie de femmes plus ou moins libres. Quelles sont ces dernières, et où les prendra-t-on ? Mais où nous touchons vraiment à l’utopie, c’est lorsqu’on suppose que cinq à six mille récidivistes peuvent être mis en contact avec les trois ou quatre mille libérés de la Nouvelle-Calédonie sans l’exposer à être mise à feu et à sang. Quand le problème des hôtes des pénitenciers n’est pas encore résolu, quand on ne sait comment obliger les forçats libérés à travailler pour vivre, on y ajouterait le problème encore plus redoutable des récidivistes en liberté ! Nous en demandons pardon à l’honorable M. Waddington, la Nouvelle-Calédonie est de toutes nos possessions la moins apte à recevoir des récidivistes. Le commandant Pallu de La Barrière écrivait, lorsqu’il y était encore en fonctions, une lettre au ministre de la marine de laquelle nous ne voulons citer qu’un passage : « La question des libérés est capitale. Nous succombons sous son étreinte, car nous ne pouvons donner du travail à ces malheureux qui nous en demandent. La loi, disent-ils, nous oblige à résider ici, mais puisque vous nous gardez, procurez-nous du travail qui puisse nous faire vivre. Autrement, nous serons forcés de voler pour manger et de retourner au bagne. Nous n’avons pas trouvé la solution de ce dilemme terrible. »