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répartit ainsi : à Nouméa, 448 ; à l’île Nou, 11 ; à l’île des Pins, 73 ; à la presqu’île Ducos, 223, et dans l’intérieur, 1,522. Sur ce nombre, on peut établir qu’il y en a la moitié au moins qui exercent, soit à Nouméa, soit dans d’autres localités, des métiers problématiques ; on se demande comment ils vivent, ou plutôt on ne le sait que trop… L’administration elle-même est tellement impuissante devant cet état de choses qu’elle est réduite à ne plus y faire attention. En supposant, ce que nous ne pouvons pas nous résoudre à croire, que les récidivistes ne soient pas placés sous la surveillance de l’état, le résultat sera identique.

Si donc on ne veut pas plus nourrir les relégués que les laisser mourir de faim, à quoi s’arrêtera-t-on ? L’honorable M. de Verminac, rapporteur, au sénat, de la loi, ne parle déjà plus comme M. Cerville-Réache, le rapporteur du Palais-Bourbon, et il n’entend pas leur laisser une liberté entière une fois à Nouméa ou à Cayenne. Il dit que l’administration « pourra n leur interdire certains séjours ; que les récidivistes qui n’auront pas de ressources personnelles et qui voudront être employés par l’administration pénitentiaire devront se soumettre aux règlemens de chantiers ou ateliers spéciaux ; enfin que des tribunaux militaires seront institués pour juger les délinquans plus que jamais récidivistes.

Mais trouve-t-on cela bien clair ? Non vraiment, car on ne dit pas à quoi seront astreints ceux qui, faute d’argent, n’auront pas la facilité de vivre en bons bourgeois. C’est pourtant des gens sans ressource qu’il fallait le plus s’occuper. N’en déplaise à nos législateurs de la chambre des députés comme à l’honorable rapporteur du sénat, ils n’ont vu qu’une chose : se débarrasser de la population sans moralité qui encombre nos grandes villes, et l’on a ajouté qu’à Nouméa ou à Cayenne, cette population criminelle aurait la liberté de se mouvoir à peu près comme bon lui semblerait. Mais c’était justement là que commençait la difficulté, à moins de vouloir nous faire partager cette étrange illusion que les relégués pourront, sans y être contraints par des moyens très coercitifs, devenir des colons sérieux.

Sait-on ce qu’il y a eu, jusqu’à l’année dernière, de libérés concessionnaires, c’est-à-dire ayant, sur leur demande, des terrains en Nouvelle-Calédonie, et cela après vingt ans de colonisation pénale ? Trois cents sur dix mille transportés. Bien loin de défricher des terrains vierges, les libérés de nos pénitenciers préfèrent être garçons chez des cabaretiers, vivre dans l’oisiveté à la presqu’île Ducos, ou bien encore exercer des métiers inqualifiables, et pour lesquels la plus grande partie de nos futurs relégués auront une aptitude déjà trop évidente.

Dans la législation qui concerne les anciens esclaves affranchis, il