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l’argent, trouvent cependant toujours le moyen de boire ce qu’ils peuvent absorber, et ils peuvent beaucoup. La nuit, ce sont des orgies qui retentissent au loin dans la presqu’île ; les surveillans ne pénètrent jamais dans leur camp sans précautions sérieuses. Si un nouveau camarade arrive avec quelques pièces d’or, on l’enivre, on le dépouille. De temps à autre, on découvre un cadavre sur le bord d’un chemin : personne ne s’en étonne, car c’est par le meurtre que se règlent entre eux les différends;,

L’idée bien naturelle d’employer à des travaux de culture ou de mines les libérés des bagnes a dû forcément être abandonnée par suite de leur refus de se mettre à l’œuvre, et il n’était que temps, dans l’intérêt des planteurs, de rapporter le décret qui prohibait l’immigration, en qualité d’hommes de peine et de mineurs, des Néo-Hébridais. Quand le libéré sort du pénitencier où il a été longtemps détenu, il est habitué à recevoir son pain, sa chaussure, ses vêtemens de l’administration; il ne peut donc prendre qu’avec une vive répugnance la résolution de s’astreindre à une tâche pour vivre et pour se procurer les mêmes objets. En général, il aime mieux vagabonder ou se contenter dans un doux loisir de la maigre ration que lui doit le gouvernement. Du reste, il sait bien qu’en volant il n’aggravera guère sa situation.

N’en est-il pas de même des récidivistes, hôtes habituels des prisons, et n’est-ce pas une semblable existence que nous allons offrir à ceux qui vont être jetés hors de France? Cela ne fait aucun doute, et il vaudrait encore mieux enterrer la loi que de la voir aboutir à un pareil résultat. Si encore les récidivistes étaient fournis en majorité par nos populations agricoles, tout espoir de régénération ne serait pas perdu. Aux familles de ces malheureux, s’il s’en présentait, nous voudrions que l’on offrît un passage gratuit, de grandes facilités d’installation à la Guyane ou en Nouvelle-Calédonie. La famille d’un paysan condamné à la relégation ou au bagne pour un temps plus ou moins long aimera presque toujours mieux abandonner son village que d’y vivre en butte aux insultes, à la générale répulsion qu’inspirent à des cœurs sans pitié la mère, la sœur ou la femme d’un prisonnier. Un paysan, forçat libéré, ayant une terre à cultiver et sa famille auprès de lui, offrira quelques chances d’un retour vers le bien. Mais les souteneurs de filles, mais les receleurs, en un mot les récidivistes dont on veut nettoyer le pavé de Paris ne produiront jamais rien de bon. Ils ont rarement une famille, dans la sainte acception du mot, et, s’ils en ont une honorable, elle ne suivra pas au loin le membre qui la déshonore.

Il y a, dans ce moment, en Nouvelle-Calédonie, 2,277 libérés dits de la première catégorie et presque autant de la seconde. Nous ne parlerons que de la première, celle-ci étant la plus connue. Elle se