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son système de déportation s’étendit à Acapulco et à ses possessions de la côte d’Afrique. Elle déporta encore à Fernando-Po, aux îles Mariannes et aux Philippines. Le Portugal usa du même procédé ; il eut des relégués aux îles du Cap-Vert, au Mozambique, à Macao et à Goa, où celui qui écrit ces lignes a pu les voir. Les Hollandais choisirent les Moluques pour leurs grands criminels. Enfin, les Écossais vaincus par Cromwell furent déportés aux Indes occidentales. La Barbade, une des petites Antilles, en reçut environ dix mille pour sa part.

La terre éloignée qui sera désignée pour recevoir nos récidivistes sera-t-elle exposée aux plus grands dangers si, comme la loi adoptée par la chambre des députés le permet, ces criminels y jouissent d’une entière liberté? Pour nous, le doute n’est même pas possible. Lorsque, en 1871, les transportés de la commune débarquèrent en Nouvelle-Calédonie, combien y en eut-il, dans le nombre, qui se mirent au travail? Sur trois mille environ, on en compta une centaine ; ce fut pour ces égarés un point d’honneur de ne rien faire. En vain la presse française protesta contre le spectacle de tant d’hommes vivant dans l’oisiveté ; en vain un ministre de la marine employa tous les moyens qui étaient en son pouvoir : appel à de nobles sentimens, diminution de vivres, application d’une discipline plus sévère, rien n’y fît. Ils avaient légalement le droit d’être nourris en se croisant les bras, et ils en usèrent. Le récidiviste en fera autant, convaincu qu’il sera qu’on ne le jettera pas brutalement hors d’Europe, sur une île ou sur un continent, sans lui avoir préparé un abri et ménagé un morceau de pain. Nous nous targuons d’une grande sévérité, mais, quand nous sommes en face d’un misérable qui demande à manger, nous lui en donnons, et nous faisons bien. Puis, qui pourrait affirmer que les relégués, exaspérés par les privations, ne se jetteront pas comme des loups affamés sur les colons? Les loups seront reçus à coups de fusil ; mais est-ce à mourir de faim ou de mort violente que nous les aurons condamnés? Non.

Que font à Nouméa les forçats libérés auxquels la liberté de ne rien faire est laissée, tout en ayant le droit d’exiger de l’administration pénitentiaire la nourriture et le logement? Après avoir erré, traîné à leur guise dans l’intérieur de l’île en quête d’un travail qu’ils refusent dès qu’on le leur offre, ils reviennent au pénitencier de la presqu’île Ducos. Là, ils se disent en instance d’engagement, c’est-à-dire qu’ils se font héberger par l’administration jusqu’au jour où ils entreprennent un nouveau voyage d’exploration dans l’intérieur. Offrez-leur une tâche bien salariée, ils n’en veulent pas. Et ces individus, auxquels personne ne donne publiquement de