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si gracieuse, que, restée sous le charme de ce sympathique enfant, elle écrivit le lendemain au roi ; « On voit bien qu’il est d’une royale naissance, tant en corps, parfait en beauté, qu’en l’esprit, qui surpasse son âge. »

Henri IV s’était annoncé à Madrid pour le 26 juillet ; il tint parole. S’il ne s’était pas attendu à revoir Marguerite, il aurait pu faire la même question que ce diplomate russe, le baron de M.., qui, séparé de la baronne, fixée à Paris depuis plus de vingt ans, et la voyant entrer dans un salon de Pétersbourg, dit tout bas à la maîtresse de la maison : « Quelle est donc cette vieille et grosse femme ? — C’est la vôtre, » répondit-elle en souriant. Hélas ! il ne restait plus rien de la Marguerite d’autrefois. Au lieu de cette taille svelte et souple, faite pour danser les gaillardes et les branles les plus rapides, une épaisse et lourde carrure élargie encore par l’ampleur démesurée de son corps de jupe. « Il y avoit des portes par où la reine ne pouvoit plus passer. » Au lieu de ces abondans cheveux d’un noir d’ébène, qu’elle avait si prématurément perdus, une perruque d’un blond de filasse blanchie sur l’herbe et d’un demi-pied plus haut que les coiffures d’alors. Les yeux seuls avaient conservé leur éclat, l’esprit sa vivacité. Le temps passe vite à causer du passé. Venu à sept heures du soir à Madrid, Henri IV n’en repartit qu’à dix heures. D’un ton amical, « Ma sœur, dit-il en la quittant, soyez meilleure ménagère, et ne faites pas du jour la nuit, et de la nuit le jour. — Que voulez-vous ? répondit-elle, cela me sera très mal aisé, à mon âge on ne se réforme guère. »

Le 28 juillet, Marguerite vint au Louvre rendre sa visite au roi, Henri IV alla jusqu’au milieu de la cour d’honneur pour la recevoir. Marie de Médicis se borna à l’attendre sur les marches du grand escalier. Henri IV lui en fit reproche. Marguerite avait demandé à voir le dauphin. Le samedi 6 août, le roi le lui envoya. Ce jour-là, elle avait été se promener en litière sur la route de Rueil ; le dauphin vint l’y rejoindre dans le carrosse de Marie de Médicis. Du plus loin qu’il aperçut la reine, il descendit, et, venant à sa rencontre : « Soyez la bienvenue, maman fille, » dit-il. Mme de Monglat lui avait recommandé de l’appeler ainsi. « Pourquoi ? avait demandé l’enfant. — Parce que maman le veut. » Le lendemain, Marguerite vint à Saint-Germain, où elle entendit la messe aux côtés du roi. Elle avait apporté un superbe présent pour le dauphin ; un petit Cupidon, aux yeux de diamans, assis sur un dauphin. L’intimité s’établit et se continua entre elle et le roi, qui l’invita à venir passer quelques jours au château de Saint-Germain. Héroard, dans son curieux Journal, raconte qu’il vit un matin