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comme si elle s’attendait à ne plus les revoir. Interrogée en chemin sur cette tristesse qui débordait : « Un devin, dit-elle, que j’ai consulté sur ma grossesse, m’a prédit que cet enfant m’empêcheroit de parvenir où j’espérois. »

Le mardi 6 avril, sur les trois heures de l’après-midi, elle descendit rue de la Cerisaie, à l’hôtel du financier Zamet. Après souper, elle se fit mener au doyenné de Saint-Germain-l’Auxerrois, chez sa tante. Mme de Sourdis, qui venait de partir pour Chartres. Le mercredi, elle alla entendre les ténèbres au Petit-Saint-Antoine. Durant l’office, prise de douleurs subites, elle se fit conduire chez Zamet. Se sentant plus souffrante et ramenée chez Mme de Sourdis en toute hâte, elle lui envoya un de ses laquais, la suppliant d’accourir si elle voulait la trouver vivante. La nuit fut plus calme. Le jeudi matin, elle eut encore la force de s’habiller et de se traîner à la messe de Saint-Germain l’Auxerrois. Vers la fin de l’office, une nouvelle crise la força de rentrer précipitammetit et de se mettre au lit. Sur les quatre heures du soir, les grandes douleurs de l’enfantement la prirent sans relâche jusqu’au lendemain. A deux heures de l’après-midi, le vendredi saint, les médecins, qui ne l’avaient pas quittée, s’accordèrent pour pratiquer l’accouchement. L’enfant était mort et ne vint qu’en morceaux. L’impitoyable médecine d’alors s’acharna sur ce pauvre corps. Sans trêve ni merci, quatre fois de suite, la malheureuse fut saignée. Elle voulait absolument écrire au roi ; une convulsion l’en empêcha, suivie d’autres plus violentes encore. Avec ses ongles, elle se meurtrissait le corps et le visage. A six heures du soir, l’agonie commençait. Vers cinq heures du matin, sans un ami, sans un parent pour l’assister, elle expirait entre les bras de La Varenne, ce valet sorti de l’office, dont le roi avait fait son indispensable confident. Mme de Sourdis n’arriva que deux heures après le décès. Au matin, la fatale nouvelle se répandit et les portes furent comme prises d’assaut. Vingt mille personnes défilèrent devant ce cadavre hideux, effroyable à voir. Dans les convulsions, la bouche s’était tordue jusqu’à la nuque. L’autopsie révéla de grands désordres et de graves lésions dans le cerveau, le foie et aux poumons, mais l’opinion publique persista à croire au poison.

Averti par La Varenne de l’état désespéré de sa maîtresse, Henri IV avait fait partir sur-le-champ pour Paris M. de Beringhen et le suivit de près. A Villeneuve-Saint-George, MM. d’Ornano et de Bellièvre lui barrèrent le passage et lui dirent que la duchesse était morte. Elle vivait encore, si l’agonie est encore la vie. Il se laissa ramener. A peine rentré à Fontainebleau, il demanda son fils, le jeune duc de Vendôme. A sa vue, il pleura abondamment. Sa