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ai promis. » Ainsi que le craignait Henri IV, Marguerite cette fois fut plus longue à se décider ; tout en se regardant comme impropre à lui donner des enfans et tout en reconnaissant la nécessité de la dissolution de leur mariage, elle aurait voulu que le roi prît une femme digne de lui. Il me répugne, disait-elle, « de mettre à ma place une femme de basse extraction et de si vilaine vie comme celle dont on faisoit courir le bruit. » Elle finit néanmoins par céder aux instances de Rosny, en qui elle avait mis toute sa confiance. Le 7 février 1599, elle signa une procuration devant les tabellions d’Usson au nom de Martin Langlois et d’Ldouard Mole avec pouvoir de la transférer. Prise d’un singulier caprice, elle aurait désiré que l’on y insérât « que le roi ne l’avait jamais connue. » On lui remontra que le pape prendrait cela pour une moquerie, et que d’ailleurs la consommation du mariage n’était pas un empêchement à sa nullité. Elle n’insista pas. Nanti de cette pièce importante, Sillery partit en toute hâte pour Rome.

Vers le milieu du mois de novembre 1599, Henri IV était venu s’installer à Fontainebleau et demander à une vie plus calme et plus intime un repos si bien gagné. Il avait alors quarante-cinq ans ; sa barbe et sa moustache étaient entièrement grises ; ses joues s’étaient creusées et amaigries, son nez allongé, son dos un peu voûté. Les yeux seuls étaient restés jeunes et « tout pleins encore de convoitises amoureuses. » Entourée de ses trois enfans et grosse d’un quatrième, Gabrielle était auprès de lui. A chaque couche, la favorite avait gagné du terrain ; avec son air enjoué, sa fraîche carnation, ses yeux d’un bleu si doux, ses cheveux d’un blond si tendre, « vrai bouquet de lis et de roses, » elle était en avance de plus d’un siècle. C’était, avant l’heure, une délicieuse figure de Watteau. Elle retenait le roi par la séduction d’une persistante jeunesse, la puissance de l’habitude et la durée d’une liaison où elle avait su garder une sorte de dignité, traitée plutôt en reine qu’en maîtresse, « Il sembloit, dit naïvement un contemporain, qu’elle n’eût jamais bougé de la compagnie des vestales. » On commençait à parler publiquement de son mariage avec le roi. Jamais la favorite n’avait été si près du but ; les robes royales, disait-on tout bas, étaient déjà faites et attendaient la future majesté à l’hôtel de sa tante, Mme de Sourdis. L’époque des pâques approchant, par un sentiment de convenance, elle crut devoir s’éloigner. Au moment de quitter le roi, elle ne put se défendre des plus sombres pressentimens. Toute la nuit qui précéda son départ, Gratienne, sa femme de chambre, l’entendit se plaindre et gémir. Henri IV l’accompagna à cheval jusqu’à Melun. Émue et attendrie sans cause apparente, elle lui recommanda vivement ses enfans,