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de Joyeuse, le beau-ffère de Henri III, ouvre la marche de ce long défilé de la mort ; il tombe sur le champ de bataille de Coutras ; puis, c’est le tour de Henri de Guise, lâchement assassiné par Henri III ; elle perd en lui le seul homme qu’elle ait sérieusement aimé de cet amour pur et sincère qui date de la jeunesse, le seul de tous qui survive. Le même courrier lui apporte la nouvelle de la mort de sa mère ; puis, elle apprend que le roi son mari et Henri III se sont vus au château du Plessis-les-Tours. Ce rapprochement peut lui être fatal ; elle fait bonne garde, comme si elle avait eu connaissance de la lettre écrite le jour même de cette entrevue par son mari à Corisande : « Le roi m’a parlé de la dame d’Auvergne, je crois que je lui ferai sauter un beau saut. » Le coup de couteau de Jacques Clément la délivre de son plus mortel ennemi. Henri III mort, la voilà reine sans royaume, épouse sans mari. Elle est à l’abri d’une surprise, car on ne peut entrer dans la forteresse qu’à la suite d’un long siège, et elle a deux ans de vivres ; mais l’avenir est bien incertain. Deux années se passent encore, entremêlées de succès et de revers pour les armes de Henri IV. De loin en loin, le bruit en arrive jusqu’à elle. Enfin, une première éclaircie se fait dans son ciel si sombre ; une lettre de Brantôme vient la chercher dans sa solitude. À sa lecture, l’espoir lui revient et, prenant la plume, elle répond à cet ami fidèle : « Je connois que vous avez bien conservé l’affection que vous avez toujours eue à notre maison, à si peu qui reste d’un si misérable naufrage. J’ai choisi une vie tranquille à laquelle j’estime heureux qui s’y peut maintenir, comme Dieu m’en a fait la grâce, depuis cinq ans, m’ayant logée en une arche de salut où les orages de ces troubles ne peuvent me nuire. »

Un bonheur n’arrive jamais seul ; à quelques semaines de là, un homme frappe à la porte de la forteresse ; il se nomme : c’est Erard, le maître des requêtes de Marguerite. Quel message apportet-il ? La réconciliation, mais à une condition bien dure. C’est le divorce qu’il vient proposer à la reine.

Gabrielle d’Estrées, « la maîtresse modèle, » avait succédé à la haute et fière Corisande. À plusieurs reprises et inutilement, Mornay avait tenté de détacher le roi de sa charmeuse. Un jour que, sans se lasser, ce sévère mentor le pressait trop vivement : « Que ne pense-t-on à me marier ? » répondit Henri IV. « C’est qu’il faut d’abord vous démarier, » répliqua Mornay ; que Votre Majesté me le commande, et j’oserai le tenter. » Le roi y avant consenti ; sans perdre une minute, Mornay avait fait partir Érard pour Usson. En échange d’une couronne, que venait-il offrir à Marguerite ? Une somme de 250,000 écus pour payer ses dettes, une rente viagère et une place de sûreté, sans la désigner. On demandait, en revanche,