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liqueurs fortes. Ils ont de la sorte mal servi les intérêts du peuple dont ils prétendaient accroître le bien-être.

Bruyans, sombres, ou d’une gaîté folle, disent les observateurs, les Maoris ont une langue sonore qui semble prêter aux effets oratoires. L’écriture était inconnue avant que les missionnaires l’eussent enseignée. Dans l’alphabet, on ne compte pas plus de quatorze lettres ; chaque syllabe se termine par une voyelle, d’où résulte une singulière harmonie du langage[1]. Les Néo-Zélandais n’avaient pas de mots pour exprimer des idées abstraites : l’espoir, la reconnaissance ; pourtant ils en avaient dans une certaine mesure la conception et ils réussissaient à la communiquer. Chez ce peuple il y avait quantité de proverbes ayant dans le fond, sinon dans la forme, une surprenante analogie avec ceux qui sont répandus en Europe. Par exemple, le Maori dira qu’on évite la pointe d’une lance, mais pas une calomnie, ou encore, qu’on peut arriver à connaître tous les recoins d’une maison, jamais ceux du cœur. Doués la plupart, sous le rapport de l’élocution, les Maoris apprécient infiniment l’art de la parole. Dans les assemblées, les plus éloquens exerçaient une grande influence et donnaient des preuves d’une remarquable mémoire en citant avec adresse des proverbes, des chants, des poésies capables de produire une impression sur les auditeurs. Curieux spectacle était une assemblée solennelle : c’était toujours en plein air ; les orateurs se succédaient, et, la lance en main, ils parlaient des heures entières en marchant. Emportés par la passion, ils gesticulaient et finissaient par se mettre à courir. Aucun homme n’eût été jugé éloquent s’il n’avait su introduire dans ses discours des citations qui amenaient d’heureuses allusions. Les exploits des héros se transmettaient par des récits fréquemment répétés ; quand un événement notable s’était produit, il devenait le motif de quelque improvisation. Le voyageur Pollack fut le témoin d’une scène toute romantique dont il se trouvait le héros. Au soir, des hommes, des femmes, des enfans sont assis autour d’un immense feu qui projette de vives lumières sur les visages. Dans le cercle, debout, une femme chante, sur un thème qu’elle improvise, le voyage de l’homme blanc qui a traversé les mers. Elle décrit les vagues, les mouvemens qu’elles impriment au navire, qu’elle imite par les ondulations de son corps ; puis venaient des refrains, qui se chantaient en chœur. Les chansons, très nombreuses, renfermaient parfois des pensées charmantes ; il y en avait pour tous les sentimens, et, ainsi qu’en d’autres pays, beaucoup plus sur l’amour et la guerre que sur tout autre sujet.

  1. Le dictionnaire maori ne contient pas moins de six mille mots, et l’on pourrait en ajouter un bon nombre.