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A l’automne, c’est une kermesse, donnée généralement dans un lieu clos, source de revenus pour l’institution la plus sympathique de la colonie, celle de son orphelinat, où s’élèvent jusqu’à leur mariage les orphelines françaises, recevant là l’éducation de famille et préparant des épouses recherchées par les artisans de la colonie. Enfin, au mois de juillet, au milieu de l’hiver, quelquefois contrariée par le mauvais temps, quelquefois embellie par le beau soleil de saison brillant dans une atmosphère claire et fraîche, prend place la fête nationale. C’est une habitude maintenant prise et très populaire dès le premier jour. Tout le monde se mêle à cette fête ; toutes les maisons de commerce françaises, tous les ateliers français ferment ; les rues se pavoisent ; au milieu de cette ville étrangère qui aime les manifestations patriotiques, notre fête nationale passe avec ses fanfares, sa Marseillaise, son cortège de procession civile au milieu de la ville, le bruit de ses réunions, de ses bals, de ses banquets et de ses dîners intimes ; — une vraie fête qui s’impose au milieu d’une ville qui travaille à regret et rêve de s’y mêler. Dans les villages au loin, c’est le même bruit ; il n’en est pas un qui y échappe, parce qu’il n’y a ni une ville ni un village qui n’ait son groupe de Français considérable ; ils ne sont pas 40,000 comme à Buenos-Ayres, 10,000 comme au Rosario, 15,000 comme à Montevideo ; mais ils sont ici 4,000 et là 200, partout assez nombreux pour former une famille et donner à la fête un certain éclat. Dans certains endroits, les discours des banquets seront faits en espagnol par un Français qui s’excusera de ne plus parler avec pureté sa langue ; ailleurs ils se feront en basque, ailleurs encore en patois du Béarn, un peu partout avec un peu d’accent méridional ; mais ils seront partout patriotiques, ce sont là de grandes occasions annuelles de faire battre le cœur des exilés au nom sonore de la patrie et de leur faire sentir à tous qu’ils n’ont pas perdu l’esprit de retour.

Au reste, il n’est pas un Français qui ne songe toujours à cette heure du départ, à l’heure plus désirée du retour. Ce peuple, qui croit qu’il n’est pas colonisateur sur la foi des affirmations, se suppose toujours provisoirement et de passage à l’étranger ; il n’y construit que rarement une maison, n’y achète guère de meubles durables ; à quoi bon ? c’est provisoire. Il accepte le provisoire du bois blanc, de la chaise boiteuse ; à quoi bon faire les frais d’une réparation dans ce provisoire ? Il n’y a pas de peuple qui soit plus dominé par cette pensée, et il n’y en a pas qui se fixe d’une façon plus définitive à l’étranger ; il n’en est pas dont les fils deviennent plus complètement étrangers et continuent moins les idées paternelles.

C’est là un des côtés imprévus de ces caractères ; les pères et les fils sont unis par un sentiment puissant et héréditaire d’amour pour