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Paris envoie partout et qui là plus qu’ailleurs ont le monopole du marché ? Ce qui est aussi important, c’est de voir se développer le goût du mobilier, dont les progrès en France, si remarquables depuis quinze ans, ont trouvé dans les villes de cette république toutes les portes ouvertes, les grands salons des nouvelles demeures, tous les jours plus somptueuses, préparés pour recevoir toutes les inventions de l’élégance moderne. L’art lui-même, les reproductions des sujets les plus heureux de la sculpture attirent les riches éleveurs, qui, s’ils n’en comprennent pas tous l’utilité pratique, ne se laissent du moins pas arrêter par leurs prix élevés. Toute l’année, deux théâtres, au moins, donnent des représentations en français, et si une troupe italienne ou espagnole occupe les autres, elle y joue les pièces françaises. Deux journaux quotidiens, en langue française, de grand format, s’y répandent à deux mille exemplaires environ chacun : l’un soutient une existence brillante depuis vingt ans, le Courrier de La Plata ; l’autre, depuis cinq ans, l’Union française ; un troisième se publie à Montevideo, la France. Ces journaux suivent une ligne politique à peu près identique ; il n’y a du reste pas place pour deux opinions à l’étranger, dans les colonies françaises. C’est une des particularités faciles à s’expliquer des colonies que les individus qui les composent ont tous à peu près la même tendance d’opinion : l’attachement à la patrie en fait le fond et les rallie au gouvernement établi ; leur esprit, quelque peu remuant, fait le reste et les entraîne légèrement à gauche ; mais les oppositions violentes au gouvernement établi en France n’ont pas d’autorité parmi eux ; les journaux de polémique passionnée qui se publient à Paris sont rejetés, par eux, comme traîtres à la patrie, parce qu’ils la veulent respectée et qu’ils sentent bien que ces critiques souvent frivoles, souvent de mauvaise foi et de parti-pris, ne peuvent que décrier la France à l’étranger et détruire son prestige. Sous l’empire, la colonie, pour ces raisons, était manifestement attachée aux institutions impériales, bien qu’elles ne fussent guère de nature à satisfaire les esprits élevés à l’école américaine. Il est inutile de dire que la république proclamée en 1870 n’a eu nulle part de plus chauds partisans, elle mettait d’accord les opinions et les sentimens. Depuis, la colonie a gardé le respect des institutions républicaines de la France, en a attendu le triomphe au milieu des alternatives des événemens politiques ; quant aux principes démocratiques, elle les avait dès longtemps pratiqués à la mode américaine.

Mieux que personne, les Français de l’étranger se rendent un compte exact de ce que vaut leur pays dans l’esprit des autres peuples : ils ont senti que, depuis 1871, les sympathies qui avaient