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formule qui est vraie, quelque paradoxale qu’elle semble à ceux qui n’en ont pas reconnu la justesse par une expérience propre. Ils disent en manière d’axiome : « L’Amérique civilise. » Oui, cela est vrai, elle civilise celui, quel qu’il soit, qui vient lui demander la solution du problème de sa vie ; elle le civilise en ce sens qu’elle développe en lui ses énergies en lui posant elle-même brutalement ce problème, en en dérobant la solution au faible, au timide, à celui qui aime les chemins battus et étroits, et à qui elle n’offre que la plaine sans route, où il faut se guider d’instinct et trouver ses ressources en soi-même.


IV

Est-ce à dire que les capitaux créés, les secours venus du dehors n’auraient pas là leur emploi ? Certes, ils faciliteraient ces tentatives, épargneraient beaucoup de tâtonnemens, permettraient à l’activité humaine de trouver plus vite l’emploi de ses forces et d’une façon plus profitable. L’expérience en est faite ; il reste aux capitaux français à suivre l’exemple que leur ont donné les Anglais, cela va sans dire, mais aussi, depuis longtemps déjà, les Italiens. Dans un pays où le commerce d’importation et d’exportation avec la France seule se chiffre, comme nous l’avons dit, par 267 millions pour l’année 1883, où l’industrie française a créé des usines qui ont suffi en quelques années à rendre inutile l’importation des farines et de leurs dérivés, de la bière, de la carrosserie, des peaux, des vêtemens confectionnés, de la sellerie, de la ganterie, du sucre raffiné, et de bien d’autres articles, jamais une constitution de banque française n’a été tentée. Les capitaux créés par les colons français sont déposés par eux dans les banques anglaises ou italiennes ; la France reste en dehors des opérations considérables d’escompte et de change, comme elle reste en dehors des opérations financières que l’état ou les grandes compagnies réalisent. En quinze ans, la république Argentine a emprunté en Europe, hors de France, plus d’un milliard de francs à des taux variant entre 72 et 90 pour 100 à 6 pour 100 d’intérêt ; ces fonds, aujourd’hui cotés à 110, sont Testés en dehors du marché français, qui, pendant cette période, en a absorbé d’autres plus connus et moins bons.

Notre indifférence n’a pas seulement pour résultat de priver la colonie française de la satisfaction de voir se multiplier les entreprises sous son pavillon national ; le mal est plus grand : il se fait sentir dans l’ordre commercial. A mesure que nos colons développent l’industrie locale, l’importance de notre commerce diminue, et l’on ne