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de famille entre la colonie et la métropole. L’audience royale, assemblée majestueuse des plus hauts magistrats coloniaux, envoyés par l’Espagne pour contre-balancer l’omnipotence des vice-rois, n’y résista pas ; elle accepta cette violation par le peuple du principe monarchique, cet effondrement de toutes les lois coloniales, dont elle avait le dépôt. Le roi d’Espagne, contraint et forcé, fit comme elle, confirma la déchéance de Sobremonte, l’élévation de Liniers, d’un Français, à la première magistrature d’une colonie d’où les lois des Indes, cependant, excluaient tous les étrangers.

Une nouvelle épreuve ne tarda pas à démontrer que ce choix était heureux. Liniers fut appelé de nouveau, en 1807, à sauver le pays d’une seconde invasion anglaise, forte cette fois de vingt mille hommes. En cette aventure périlleuse, ce fut sur lui seul et sur les nouveaux patriotes qui l’entouraient que reposa, comme en 1806, toute la responsabilité du gouvernement que l’Espagne laissait échapper.

Dans tout l’éclat de cette destinée qui le faisait présider à l’aurore de l’indépendance sud-américaine, initiateur et premier soldat de cette révolution, investi du pouvoir par l’autorité populaire, lui Français, dans un pays que l’Angleterre convoitait et attaquait sans pouvoir le conquérir, que l’Espagne était impuissante à défendre et à garder, et qui semblait ainsi n’être à personne, Liniers, imbu qu’il était d’idées monarchiques et hiérarchiques, ne songea pas qu’il pouvait être le premier citoyen d’une république indépendante et rendit compte, naturellement, des événemens auxquels il avait présidé, à l’empereur Napoléon, lui faisant hommage de la suzeraineté sur ces contrées. Il lui adressa le comte de Vaudreuil, son gendre, émigré français résidant avec lui à Buenos-Ayres. L’Espagne était alors l’alliée de la France, Napoléon ne crut pas devoir accueillir ces projets ; mais il n’oublia ni cet ambassadeur, ni ce vice-roi qui régnait pour lui et le traitait de loin en suzerain. Deux ans après, au lendemain de l’abdication de Charles IV, il décida l’envoi à La Plata d’un émissaire chargé d’instructions pour Liniers et d’un convoi d’armes, projet qui resta sans exécution. L’idée fut reprise. Le futur amiral Jurien de La Gravière, qui avait connu Liniers à Buenos-Ayres, à la fin du XVIIIe siècle, lors de l’arrivée de celui-ci, fut destiné à devenir le conquérant de ces immenses régions par le ministre de la marine Decrès, qui lui alloua cinq cents fusils et vingt-cinq hommes : subside dérisoire si l’on se rappelle l’échec des vingt mille Anglais, et qui n’aurait pu aider qu’une conquête pacifique, une prise de possession d’un domaine déjà féodalement rattaché à l’empire. Cette expédition ne partit pas plus que les précédentes ; l’empereur, hanté