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« recteur » est établi de temps immémorial. Il faut se reporter aux réductions du Paraguay pour trouver un fait analogue. Le dernier règlement, qui consigne, en les consacrant, la plupart de ces coutumes, est d’une date toute récente, sauf quelques modifications secondaires. Autrefois, le recteur portait officiellement les titres de « tuteur de l’île, curé de la paroisse, syndic des gens de mer, agent des douanes et de l’octroi, directeur de la poste aux lettres et capitaine du port. » Officieusement, il remplissait en outre les charges de tabellion, de juge de paix, écrivain public, médecin et pharmacien, receveur des contributions, de l’enregistrement et des domaines, et son autorité, même dans l’exercice de ces dernières fonctions, était telle que, par exemple, il lui suffisait d’écrire et de signer sur une feuille de papier commun les arrangemens survenus dans les familles, à l’occasion d’une mort ou d’un mariage, pour que cet écrit devînt un titre authentique de propriété auquel il n’était jamais contredit. Un conseil de douze vieillards lui était adjoint pour veiller, d’après la charte locale, à ce que le règlement fût exécuté, pour décider toutes les questions d’utilité publique et rechercher les moyens de remédier aux abus, conjointement avec le recteur. Dans certaines occasions solennelles, qui intéressaient la communauté tout entière, tous les habitans étaient appelés à voter. La « masse commune » était formée par divers impôts et rentes. Le revenu du recteur était constitué par d’assez nombreuses redevances en nature. C’était la dîme portée à sa plus haute puissance. Tout le fonds du régime économique reposait sur l’association. On la trouvait dans la manière d’exploiter l’industrie de la pêche et d’en répartir les bénéfices, comme dans les établissemens connus sous le nom de cantines, où on venait prendre ses repas. Ces dernières institutions, association pour la pêche et cantine, existent toujours. On a pu dire qu’elles présentent les caractères essentiels des sociétés coopératives et des sociétés de consommation, comme du crédit en vue du travail, qui est ici celui de la pêche. Quant à l’agriculture, très réduite et assez misérable, elle peut être livrée aux femmes sans trop de préjudice, tandis que les hommes naviguent. En effet, dans ces îles, le dénombrement du bétail se réduit à presque rien. La culture, qui se fait sur l’espace restreint où la nature du sol ne la rend pas impossible, est presque exclusivement en blé et en pommes de terre. Vous apercevez ces femmes cultivatrices tantôt dans la plaine, tantôt dans les routes, ou encore sur le devant de leurs portes, vêtues de noir, la tête couverte de blanches coiffes de toile aux pans flottans.

Le régime de la propriété étant lié ici très étroitement aux mœurs spéciales de ces populations bretonnes, je dois l’indiquer aussi en