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à table, ce qui est encore inévitable, mais elle paraît un peu trop exclusivement reléguée dans ces offices de domesticité et réduite à manger les restes. Ne vous y fiez pas trop pourtant ; l’influence s’exerce presque toujours quand elle est méritée. Cette femme-servante se relève par la maternité et souvent par son ascendant naturel. Cet ascendant est rarement avoué par le maître, qui aime habituellement à prendre le ton d’autorité. Un ridicule très marqué s’attache en Bretagne aux maris débonnaires, et il court contre eux dans les campagnes plus d’une chanson moqueuse. Au total, si on excepte ces régions où les habitudes pour le moins autant commerciales qu’agricoles amènent à propos des transactions ces repas où les femmes sont admises, la paysanne bretonne reste dans la ferme ce qu’elle était autrefois. La vie, pour elle, c’est le sérieux du travail, le sérieux du devoir, le sérieux toujours. Ce qu’il y a là d’austérité et de contrainte, de monotonie et aussi de désenchantement chez la jeune fille qui se donne à un maître pour toute la vie a son expression mélancolique dans les paroles et dans l’air de la chanson de la mariée, cet adieu à la jeunesse insouciante. On sent que le lendemain va commencer la série des devoirs sans charme et des perpétuelles responsabilités. À cette existence toujours la même s’attache du moins le plus précieux des biens, la paix intérieure. Les passions avec leur cortège de troubles et de désordres ne pénètrent pas dans ces âmes placides, et, sauf pour cause de brutalité exceptionnelle du mari, les mauvais ménages sont rares. Les devoirs des parens envers les enfans sont presque toujours bien remplis. Ce n’est guère aussi que dans le voisinage des villes qu’on observe parfois chez ceux-ci l’affaiblissement du respect. Malheureusement, en Bretagne, comme ailleurs, l’habitude de certains parens de se dépouiller de leur vivant en faveur de leurs enfans n’a pour conséquence que de faire trop souvent des ingrats. Les exemples n’en manquent pas, on assure qu’ils sont fréquens dans les arrondissemens de Brest et de Morlaix, où cette habitude est assez répandue. Il n’en est pas de même dans les arrondissemens de Châteaulin, de Quimper et de Quimperlé, où subsistent certains restes de l’antique usage de l’aînesse conciliable avec une liberté d’arrange-mens réglés d’ailleurs par la coutume et profitables à la famille. C’est habituellement l’aîné, quelquefois la fille aînée, qui prend la ferme en indemnisant les frères et sœurs, lesquels restent au logis jusqu’à leur mariage. Les vieux parens se fixent le plus souvent à proximité, à portée de rendre et de recevoir les services nécessaires, les arrangemens, exempts de toute contrainte, sont favorables aux mœurs et à l’esprit de famille, et nul ne songe à les modifier.

Le mariage continue à présenter dans les populations bretonnes une particularité qui, nous l’avouerons, nous a étonné au premier