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chants sacrés, que ces cérémonies qui parlent aux yeux aussi bien qu’à l’âme. Il y aurait une sorte de cruauté à lui ôter ces biens, qu’il apprécie tant, comme à lui enlever ces espérances d’au-delà, qui le consolent et le fortifient ; quant à l’avantage social qui en résulterait, il n’est pas facile de l’apercevoir.


II. — L’INSTRUCTION DANS LES CAMPAGNES BRETONNES.

L’ignorance de ces campagnes, en tout ce qui touche les élémens de l’instruction primaire, a été poussée longtemps au point de se faire remarquer, même au milieu de l’ignorance assez générale des autres provinces. Ce n’est pas qu’on ne prouve aussi que la Bretagne a eu dans l’ancien régime plus de petites écoles qu’on ne se le figure ordinairement ; mais la vraie question est de savoir si ces petites écoles ont porté beaucoup de fruit, et c’est presque toujours là que la démonstration échoue. Affirmer qu’elles furent sans utilité pour une minorité serait une grossière erreur. Croire que la grande majorité ne resta pas en dehors de leur enseignement n’en serait pas moins une complète illusion. Hier encore, et parfois aujourd’hui même, la difficulté des communications s’est opposée à la fréquentation des écoles existantes. On peut par là se faire une idée de ce qu’il en fut au moyen âge et jusqu’à la création des chemins vicinaux. Nous tenons un juste compte des savantes recherches faites de différens côtés, de celles que publiait récemment M. l’abbé Allain dans son livre sur l’Instruction primaire avant la révolution, et de celles qu’on trouve consignées dans la Revue de Bretagne et de Vendée, de 1874 à 1878, mais nous ne pouvons y voir la preuve d’efforts un peu efficaces pour répandre l’instruction dans la grande masse rurale avant l’ère nouvelle. Tout au plus ferons-nous dater ce mouvement de la fin du XVIIIe siècle. C’est alors que les frères de la doctrine chrétienne firent en Bretagne pour le peuple (encore n’était-ce guère que dans les villes) ce que les jésuites faisaient pour l’enseignement secondaire à l’usage des classes supérieures. Il est curieux, surtout dans les circonstances actuelles, peu favorables à l’enseignement congréganiste, de voir La Chalotais, ce héros de l’indépendance parlementaire, si mal disposé pour l’instruction du peuple, traiter les jésuites et les frères comme d’affreux révolutionnaires. On ne saurait mieux mesurer le changement des temps qu’en lisant ces lignes du fougueux opposant du parlement de Rennes : « Les frères de la doctrine chrétienne, qu’on appelle ignorantins, sont survenus pour achever de tout perdre. Ils apprennent à lire et à écrire à des gens qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner et à manier le rabot et la lime, mais qui ne le veulent plus faire.