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la même légende nous était répétée sur les mêmes lieux par un jeune garçon. Il la racontait en riant et il s’étonnait qu’il y eût eu des gens assez simples, — il se servait même d’un autre mot, — pour croire à de pareils contes. Le doute était entré depuis vingt ans dans la place avec l’ironie. Lui fera-t-on sa part ? La question ne manque pas de gravité.

En tout cas, la religion conserve presque toute sa force dans les campagnes bretonnes. Les églises sont remplies d’hommes comme de femmes les dimanches et fêtes. Le sentiment religieux qui s’y alimente est sérieux et profond, et les pratiques fidèlement suivies contribuent sans relâche à l’entretenir. On ne saurait sans injustice nier l’influence qu’il exerce sur la direction des pensées et sur toute la conduite de la vie. La légèreté facilement sceptique de certaines races n’a rien à voir ici, non plus que ces accommodemens entre une morale relâchée et des pratiques religieuses superficielles. Le Breton a gardé le sens intègre du christianisme, le véritable esprit de l’évangile. Il ne se trompe pas sur le mal, même s’il y tombe. Il n’a pas de sophismes à son usage pour ruser sur la notion du devoir ; sa règle morale, nette et précise, n’hésite guère. Il l’applique également, soit qu’il juge les autres, soit qu’il se juge lui-même. Elle est contenue tout entière dans les « commandemens de Dieu. » Dans une fête consacrée à l’enfance, qui se célèbre en Basse-Bretagne, particulièrement dans les montagnes, et qu’on nomme la Fête des petits pâtres, il y a un chant grave conservé par l’usage. Un vieillard se charge de le chanter ; il s’y rencontre ce verset : « Enfant, dites le matin : « Mon Dieu, je vous donne mon corps, mon cœur et mon âme ; faites que je sois un honnête homme, mon Dieu, ou que je meure avant l’âge. » Ce chant de jeune Spartiate chrétien donne l’idée de ce mâle enseignement religieux. Malgré quelques symptômes, ça et là, de relâchement, de tiédeur et même de doute, cette foi conserve encore, dans la très grande majorité, une puissance avec laquelle il ne serait pas prudent d’entrer en lutte. Il y a là trop de racines qui tiennent au cœur, un culte trop vivant de famille, pour que le souffle sceptique de notre temps vienne à bout facilement de cette religion intérieure et de ces habitudes qui font partie de l’existence même. Longtemps encore, on peut le prédire, le Breton suivra le sentier qui conduit de sa rustique demeure à l’église, centre commun, presque unique, de ces populations éparses. Longtemps encore il aimera à entendre, au moins une fois la semaine, une parole qui tombe de plus haut que celle qu’il entend tous les jours. Outre le besoin d’un idéal élevé au-dessus des vulgaires réalités, auquel la parole divine satisfait, il va à l’église comme à une fête. C’en est une pour Lui que ce rustique autel paré de quelques ornemens, que ces