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faut se reporter au berceau de leur agriculture même. Ce sont des saints qui lui ont servi de pionniers. Ces personnages très réels, dont la vraie physionomie comme le vrai rôle ressortent à travers tous les voiles légendaires, n’ont pas moins fait pour défricher le sol que pour convertir les habitans. Ce caractère éclate dans toutes les pages de la vie des saints bretons écrite par les bénédictins, et dans les chroniques d’Albert le Grand. Ces saints, objet d’une vénération qui dure toujours, saint Pol de Léon, saint Corentin, saint Cado, saint Tenock, et tant d’autres, sont toujours en lutte avec les marécages, avec des monstres fantastiques, ils nous représentent les Hercules et les Thésées de l’ère chrétienne. Mais un pouvoir surnaturel leur vient en aide, un simple exorcisme leur tient lieu de hache et de massue, et suffit pour que la bête écumante coure se précipiter d’elle-même au sein des flots. Ils ont affaire aussi, ces moines colonisateurs, ces pieux et hardis évêques, aux monstres humains, au mauvais vouloir des petits rois du pays ou de ses habitans révoltés. Vous pouvez lire toute la légende agricole de saint Anvel, inscrite en vives images sur les vitraux de l’église de Locquenvel, dans l’évêché de Saint-Brieuc. Voyez-vous ce bandit qui vole le cheval du saint ? C’est l’image du brigandage de l’époque. Le saint conduit une charrue attelée d’un cerf et d’une biche. C’est le passage de la vie du chasseur à celle de l’agriculteur. Une autre représentation montre le saint empêchant un loup de dévorer un troupeau. Mais voici un autre loup, je veux dire un méchant seigneur, qui, lui, paraît bien dompté. Aux genoux de saint Anvel, il lai demande pardon de s’être opposé à ses premiers établissemens agricoles. Voilà dans quelle atmosphère ont vécu ces populations rurales. De tels souvenirs ne s’effacent pas. Plus d’un paysan dans le Léonais parle de saint Pol comme s’il avait vécu au dernier siècle. Il était bon, hospitalier, point fier, etc. Le clocher de Saint-Pol, qui se découvre pendant des lieues entières, étend au loin sa protection toujours efficace sur les champs de ce fertile pays de Léon.

Quant à ces autres superstitions légendaires plus grossières que vit naître le moyen âge, elles achèvent de perdre leur empire. On ne croit plus si aisément que les rochers qui hérissent telle de ces côtes ont été transportés là par la vengeance d’un saint ermite qui, mal reçu dans ces contrées, en débarrassa d’autres pays plus hospitaliers. Nous pouvons évoquer un souvenir personnel. Il n’y a guère plus de vingt ans, un guide nous montrait les monumens mégalithiques du champ de Carnac et nous racontait avec sérieux la légende de saint Cornély, qui avait métamorphosé en pierres les envahisseurs. Les pierres gigantesques, c’étaient les généraux ; puis venaient, selon l’ordre de taille, les grades inférieurs. Naguère