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cheveux et des robes blanches à la clarté de la lune, par ces affreux nains velus, à griffes de chat, qui vivent la nuit sous les dolmens, exécutant des danses étranges et jouant mille tours aux pauvres gens. Toute croyance aux farfadets et aux génies de l’air n’a pas disparu. Les dolmens sont encore l’objet de ces préoccupations surnaturelles de la part d’un certain nombre de paysans, plus attardés aux superstitions anciennes. Les pierres druidiques gardent à leurs yeux la vertu de guérir certaines maladies ou de rendre certains oracles. Les jeunes filles en quête de mari les consultent, et on raconte qu’on voit encore, aux heures nocturnes, certains époux inquiets demander aux pierres branlantes des révélations sur leur sort. Le culte des fontaines survit christianisé. Le gui sacré s’appelle « herbe de la croix, » et guérit de la fièvre. L’idée druidique de la transmigration des âmes se montre encore parfois dans la répugnance à manger la chair de certains animaux sauvages. « Je suis né trois fois, disait, il y a quinze siècles, le poète cambrien Taliésin, — plus ou moins commenté après par d’autres bardes bretons, qui croient aussi aux trois cercles de l’existence et au dogme de la métempsychose. — J’ai été mort, j’ai été vivant, je suis tel que j’étais… J’ai été biche sur la montagne,.. j’ai été coq tacheté de couleur jaune… Maintenant je suis Taliésin. » Ainsi se cache derrière une superstition vulgaire le souvenir inconscient de tout un passé religieux et poétique. Ce qu’il y a de plus saillant dans ce qui survit des anciennes superstitions bretonnes, — en mettant à part les plus connues qui se rattachent au christianisme, — c’est cet amalgame étrange de pratiques chrétiennes et païennes, comme on les nomme improprement. Il se retrouve notamment dans certaines fêtes et cérémonies, où des danses délirantes et des scènes singulières rappellent évidemment des inspirations antérieures fort étrangères au catholicisme. Le druidisme, religion forte à coup sûr, par ses dogmes élevés et terrifians, s’était emparé avec une puissance inouïe des imaginations et des âmes, qu’il disputa avec une grande énergie au christianisme et qu’il ne lâcha jamais entièrement. Il se fit dans les campagnes de bizarres compromis contre lesquels des conciles, notamment celui de Nantes, vers 658, furent appelés à se prononcer. En vain frappa-t-il d’un anathème particulier le culte des pierres et des fontaines : Veneratores lapidum,.. excolentes sacra fontium admonemus ; le paysan breton fit le contraire des païens convertis devenus iconoclastes : il planta sur les menhirs restés debout la croix triomphante. Il ne s’est pas toujours depuis lors montré si conciliant.

C’est à un fonds historique plus solide ou moins mêlé d’ombres qu’il faut s’adresser pour se rendre compte du caractère religieux et tout pénétré de légendes surnaturelles de ces populations. Il