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en Égypte, et l’Angleterre, il faut l’avouer, ne néglige rien pour que ce point noir des bords du Nil devienne un orage sérieux. Il n’en sera pas ainsi, nous l’espérons bien, parce que ni l’Angleterre ni les autres puissances ne Voudront compromettre la paix universelle pour les finances égyptiennes. La question, cependant, commence à se compliquée d’une étrange façon, et le cabinet de Londres, par un coup d’autorité, vient de se placer, de placer les autres cabinets dans une situation aussi délicate que difficile. Que s’est-il passé, en effet ? Il y a quelques mois, le gouvernement de la reine, préoccupé de la détresse financière de l’Égypte, qu’il a contribué à créer et à aggraver par son intervention, fait appel à une conférence européenne, qui seule pouvait modifier des arrangemens internationaux. La conférence se réunit à Londres : le cabinet anglais fait ses propositions ; la France, de son côté, fait d’autres propositions auxquelles les représentai de quelques puissances semblent disposés à se rallier. On ne s’entend pas du premier coup, et, sans plus de cérémonie, lord Granville congédie lestement cette malheureuse conférence, qui a eu le tort de vouloir discuter un peu sérieusement les affaires égyptiennes. Aussitôt, le cabinet anglais, délivré ou se croyant délivré de la diplomatie, se met à l’œuvre : il expédie au Caire son meilleur général, lord Wolseley, pour secourir Khartoum, pour aller sauver Gordon, et il envoie en même temps un des membres du ministère, lord North-brook, pour examiner de plus près la situation de l’Égypte, pour procéder à une enquête nouvelle. L’enquête a-t-elle été faite, et le cabinet de Londres en connait-il les résultats ? toujours est-il que, sans plus attendre, sans consulter les représentans étrangers et les créanciers, le premier ministre du khédive, Nubar-Pacha, obéissant manifestement aux agens anglais, a pris, il y a quelques jours à peine, une mesure des plus expéditives : il a suspendu tout simplement l’amortissement institué au profit des créanciers de l’Égypte, et il est allé chercher de l’argent là où il était sûr d’en trouver, dans la caisse de la dette publique. En d’autres termes, cette loi de liquidation, qui était un pacte sanctionné diplomatiquement, que l’Angleterre, il y a quelque temps, croyait ne pouvoir modifier qu’avec le concours de l’Europe, cette loi se trouve lacérée et mise en pièces par l’acte sommaire d’un agent anglais déguisé sous le nom de Nubar-Pacha. Voilà qui est clair, et ce n’est sans doute encore que le commencement.

L’Angleterre cependant ne peut se faire illusion. Elle sait bien qu’elle entre dans une voie ou elle doit rencontrer à chaque pas le droit public, les garanties diplomatiques, qu’il y a une légalité internationale qu’elle a contribué à créer, qu’elle a elle-même protesté plus d’une fois contre des actes du gouvernement égyptien violant cette légalité, prétendant toucher aux fonds de la dette publique sans le consentement des créanciers ou de leurs représentans. L’Angleterre, dit-on, avait prévenu les