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l’absence du sentiment vrai de la réalité chez ceux qui ne devraient aborder ces questions douloureuses et délicates qu’avec une intelligence supérieure des grands intérêts publics et une volonté ferme.

Après cela, si la réalité trompe parfois cruellement l’optimisme des politiques du jour, s’il y a dans nos affaires des parties sombres ou bien sérieuses, il y a aussi par instans, il faut l’avouer, des incidens comiques qui peuvent réveiller la gaîté française, qui prouvent que le progrès triomphe tout au moins dans notre administration. Il y a un préfet qui vient de révéler son esprit réformateur en entreprenant de réglementer les sonneries des cloches affectées jusqu’ici aux usages de la vie religieuse. Cet ingénieux préfet, agent hardi d’un gouvernement progressif, a eu une noble ambition, presque une idée de génie ; il a voulu, dans sa paternelle sollicitude, enseigner aux populations qu’il administre l’art de se servir des cloches de leurs églises dans leurs affaires de tous les jours. Dans le département de la Haute-Marne, désormais, les cloches sonneraient pour appeler les enfans à l’école comme pour publier les bans des vendanges ; elles annonceraient aux ouvriers des champs et des fabriques l’heure du râpas ou de la reprise du travail ; elles préviendraient les populations que le conseil municipal va entrer en séance ou que le scrutin va s’ouvrir aux jours d’élection. Ces malheureuses cloches, elles sonneraient pour la fermeture des cabarets ; elles sonneraient aussi, hélas ! pour annoncer le passage du percepteur des contributions en tournée de recette. M. le préfet, dans ses énumérations, a toutefois peut-être oublié quelques détails. Les jésuites du Paraguay, qui étaient des maîtres dans le gouvernement paternel, n’avaient pas négligé de faire sonner la cloche à une certaine heure de la nuit pour réveiller les apathiques Indiens et leur rappeler qu’ils avaient à remplir leurs devoirs pour la conservation de l’espèce. M. le préfet a oublié cet article prévoyant dans son programme, il pourra l’y introduire : le code des sonneries sera complet. Et voilà à quoi on peut passer son temps, au risque de livrer la France, l’administration française à la risée du monde ! Voilà ce que le chef d’un département peut imaginer, uniquement pour montrer au curé qu’il n’est pas seul maître dans son église, qu’il ne dispose pas seul des cloches ! C’est là certes ce qu’on peut appeler une politique républicaine, progressive, réformatrice, bienfaisante, populaire — et surtout sérieuse !

Où en sont cependant nos affaires avec la Chine ? Depuis que M. l’amiral Courbet a forcé les passes du Min et a montré la supériorité de notre marine, le fait est que tout est resté en suspens au Tonkin comme sur les côtes chinoises. Est-ce parce qu’il y aurait de mystérieuses négociations qui prépareraient une paix prochaine ? Est-ce parce que M. l’amiral Courbet avait besoin de forces nouvelles, qu’il vient, d’ailleurs de recevoir, avant de rouvrir l’action et de prendre