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simplement que ce que l’on reproche à Louis XV, on le reproche à Louis XIV en termes presque plus indignés, quoique Mme de Montespan ne fût pas certes une Du Barry, Mlle de La Vallière une Pompadour, et que Louis XIV incontestablement n’ait pas fait la France moins grande, moins respectée, moins souveraine entre les nations que Frédéric la Prusse et Catherine la Russie. Pourquoi donc notre pudeur n’éprouve-t-elle un besoin de se révolter qu’autant qu’il est question de Louis XV et passe-t-elle aux rois de Prusse ou aux impératrices de Russie ce qu’elle ne pardonne pas au roi de France ?

Autre exemple encore. Les historiens français, d’après les « philosophes » et d’après les « économistes, » sont unanimes à s’apitoyer sur la misère unique du paysan français à la veille de la révolution. On pourrait faire observer à ce propos que tous les « philosophes » ne disent pas tout à fait ce qu’on veut bien leur faire dire. Voltaire dit même plutôt le contraire. « Dans de grandes huttes que l’on appelle maisons, écrivait-il en traversant la Westphalie, on voit des animaux, qu’on appelle hommes, qui vivent le plus cordialement du monde pêle-mêle avec d’autres animaux domestiques. Une certaine pierre dure, noire et gluante, composée, à ce qu’on dit, d’une espèce de seigle, est la nourriture des maîtres de la maison. Qu’on plaigne après cela nos paysans ! » Négligeons cependant le témoignage des philosophes et celui même des voyageurs français. Encore bien faudrait-il discuter celui des étrangers. Quand Mme Laporte ou Laroche (car entre Laroche et Laporte M. Babeau n’a pas pris son parti) observe, en traversant la Beauce, « qu’il est presque impossible de voir une terre meilleure, mieux cultivée, plus fertile, » et tout le long de sa route, en Touraine, en Saintonge, en Guyenne, en Périgord, en Normandie, quelque part enfin qu’elle passe, éclate en cris d’admiration, le moyen de supposer que ses yeux la trompent constamment et que, comme dans un rêve, elle ne voie rien de ce qu’elle croit voir ? Mais si le docteur Rigby déclare qu’à « mesure qu’il avance en France, il sent augmenter son admiration pour la grandeur de ce royaume, sa population étonnante, l’industrie de ses habitans, » que sais-je encore ? le moyen de récuser un observateur dont le ton va changer dès qu’il passera la frontière, et qui ne retrouvera ni pour la sèche Allemagne, ni pour la grasse Hollande les expressions admiratives qui naissaient sous sa plume quand il parlait de cette pauvre France ? Or, c’est précisément ici que je voudrais des renseignemens plus nombreux. Le voyage de Mme Laroche est de 1785 ; il nous faudrait à cette date, si toutefois il y en a, quelques récits de voyages en Italie, du côté de la Calabre, par exemple, ou du côté de la Sicile. Le voyage du docteur Rigby est de 1789, il nous faudrait également, pour cette même mémorable année, des récits de voyages en Espagne. Et si quelqu’un dit que ces