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beau des châteaux et que Mme la baronne est la meilleure des baronnes possibles, il y a des pieds-plats qui ne s’occupent que de se faire bien venir des puissans de la terre. Tel autre est de bonne foi, il a le goût d’approuver, il obéit aux penchans de son cœur, qui est un optimiste convaincu. Auerbach était en toute chose du parti de l’espérance ; il estimait que tout finit par tourner au profit de ceux qui ont la foi ; comme un bouchon de liège, se belle humeur naturelle remontait toujours à la surface. Il l’avait bien prouvé dans les sujétions et les chagrins de sa mélancolique jeunesse. A l’âge de vingt-quatre ans, incertain de son avenir, ne sachant à quoi se prendre, sans protecteurs, sans ressources, il se plaignait à son cousin des tristesses de son existence solitaire et dépouillée. Il ajoutait ; « Et pourtant, je ne suis pas aussi malheureux que tu le crois et que je le crois moi-même. Je suis capable de me réjouir des plus petites choses ; je ris, je crie, je chante, je danse comme un enfant ; je fais des gambades, des cabrioles. Je voudrais embrasser le monde entier ; il est bon, il est charmant, il est aimable, et moi aussi, je suis aimable et charmant. » Il s’est toujours obstiné à voir en beau et le monde et lui-même. L’étoffe de la nature lui paraissait trop nue, son imagination la brodait. Il n’aurait pu supporter la vie telle qu’elle est, et cependant c’est un visage auquel les philosophes s’accoutument.

Dans sa vieillesse, son optimisme politique fut mis à de dures épreuves, et, par intervalles du moins, son humeur s’assombrit ; la dernière partie de sa correspondance en fait foi. Atteint dans sa santé, ses forces déclinaient ; il avait des défaillances et moins de ressort pour réagir contre les impressions décourageantes et fâcheuses. Romanesque comme il l’était, il avait cru assister, en 1870, à la naissance d’une Allemagne nouvelle, où tous les jours seraient des jours de fête, où tout irait bien, où régnerait la concorde, la fraternité, l’esprit de paix et de famille, où fleuriraient à l’envi toutes les vertus germaniques, où tout le monde serait honnête, loyal, bienveillant, consciencieux, où la jeunesse se nourrirait de la sublime et généreuse morale qu’avait prêchée dans ses livres un certain Berthold Auerbach. L’événement n’avait pas répondu à son espérance. Il entendait retentir autour de lui des cris de guerre ; il déplorait l’acharnement des partis, leurs injustices, leurs bruyantes querelles. La démocratie sociale l’épouvantait par sa brutalité, par ses appels à la violence ; il s’écriait avec sa candeur accoutumée : « On passe sa vie à quoi ? A travailler à l’éducation de son peuple allemand, et voilà où nous en sommes ! » Il se plaignait aussi « que la passion de jouir, la fureur de s’amuser fussent plus, grandes qu’auparavant. » La nouvelle littérature lui plaisait peu ; il la trouvait ou profane, ou vulgaire, ou frivole, ou scandaleuse. « Schopenhauer, disait-il encore, a extirpé des jeunes cœurs toute