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et ne s’arrêtera plus. Ne nous hâtons pas trop pourtant d’annoncer la fin prochaine de l’opéra ; si avarié qu’il nous paraisse, l’homme malade est capable de traverser encore plus d’une crise. M. Riehl veut que ce soit l’oratorio qui le remplace, un oratorio moins religieux que philosophique, historique et politique. « Le génie de Händel, écrit-il, s’affirme dans ses chœurs bien autrement que dans ses airs, » et cette simple remarque lui suffit pour rêver d’une forme où te peuple figurerait comme principal personnage et d’où serait exclu l’indispensable épisode des amours de Valentine et de Raoul, de Mathilde et d’Arnold, de Fenella et du prince Alphonse, la musique désormais occupant l’avant-scène et se chargeant de symboliser à elle seule la querelle des catholiques et des huguenots, des Suisses et des Autrichiens, des Napolitains et des Espagnols. Au dire du critique allemand, pour l’ancien opéra, tout à la mythologie, l’histoire fut toujours lettre morte, et les musiciens modernes qui lui ont emprunté des sujets se sont bien gardés de fondre leurs héros dans la thèse commune et de relever la caractéristique de l’individu par la caractéristique des événemens.

Voulant joindre l’exemple au précepte, M. Riehl s’empare du drame de Wallenstein et nous montre Thécla et Max comme une concession de l’auteur à la poétique du théâtre, tandis que le conflit historique fait le fond de l’œuvre ; puis il ajoute : « Ainsi Meyerbeer se serait comporté s’il avait eu la poigne d’un Schiller, et vous pouvez croire qu’en pareil cas, son génie, au lieu de lui conseiller l’opéra, l’eût mené droit à l’oratorio. » J’avoue que ce raisonnement me laisse froid ; je consens que l’oratorio soit, en effet, comme la symphonie, une forme musicale plus organique, mais j’ai peine à comprendre en quoi un oratorio de Guillaume Tell, des Huguenots ou du Prophète nous initierait davantage aux mœurs politiques de l’époque, si tant est que la musique ait pour mission de s’ingérer dans ces gros démêlés. Agir de la sorte serait tout simplement saper le genre par la base. Le public, quoi que vous intentiez, ne connaîtra jamais qu’un oratorio, celui de Bach ou de Händel modifié selon les circonstances, mais conservant toujours sous la main d’un Mendelssohn ou d’un Massenet, sa physionomie évangélique ou biblique. Le Paradis et la Péri de Schumann ne saurait compter que comme un spécimen perdu d’une variété qui ne s’est pas propagée dans l’espèce.

Quant aux nombreux griefs que M. Riehl nous expose contre l’opéra, on en peut sans inconvénient adopter quelques-uns : il est certain que les empiétemens de la mise en scène sont devenus un péril, mais, parmi tous ces reproches, il y en a beaucoup qui ne regardent pas seulement l’opéra et s’adresseraient aussi