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loin que M. Riehl, qui le tient pour une forme décidément à bout de voie et le relègue au magasin des vieilles lunes, encore peut-on admettre que le centre de gravité se déplace et que la symphonie prend le dessus. N’oublions pas que notre siècle en musique est le siècle de Beethoven, un grand tragique aussi, celui-là, le Shakspeare du genre, capable de dramatiser le quatuor et la sonate, et néanmoins préférant la salle de concert au théâtre, qu’il ne daigna aborder qu’une fois ; histoire d’avoir fait ses preuves. Et, dans cette dramaturgie que de degrés, de nuances ! tous les sous-entendus du sentiment et de la vie intime, tout ce qui se dit en confidence ou se chuchote, formera son petit répertoire. Les grands espaces veulent les grands orchestres, il aura ainsi ses deux théâtres : celui de la symphonie (le tragique) et celui de la musique de chambre (l’élégiaque), l’un pour les âmes endolories, l’autre pour le genre humain. En Allemagne, Gluck et Weber sont en quelque sorte dans le passé les deux seuls spécialistes, puisque Mozart, étant l’homme universel, ne compte pas, et nous voyons tout le mouvement néoromantique s’accomplir par Mendelssohn et Schumann en dehors de la scène. En France, égale réaction chez les nouveaux, que leurs secrètes prédilections inclinent vers l’oratorio et la symphonie. Aucun d’eux n’entend sans doute renoncer au théâtre, tous le recherchent au contraire, car c’est encore de là que viennent l’influence et la fortune, mais s’ils ne disent pas ce qu’ils pensent, leurs œuvres parient pour eux. Comparez Marie-Magdeleine à Manon, Henri VIII à la symphonie de Prométhée, à celle du Déluge, estimez, pesez, jugez qui de cette lyre ou de ce théâtre prévaudra dans l’avenir, et vous saurez, sur les préférences intimes des deux jeunes maîtres, tout ce qu’il en faut savoir. « Sois poète tant que tu voudras, mais tâche un peu d’être musicien, » disait Schumann à Berlioz. Notre temps est à la musique absolue, et celle-là ne nous fait pas l’effet d’être à la veille de s’entendre avec le théâtre.

Tout au plus la certitude existe-t-elle en esthétique dans les arts du dessin, mais en musique, qui nous apprendra les transformations que le beau est destiné à subir sous l’influence de nouvelles découvertes harmoniques ? Musique absolue ! Mais alors, il y a donc une musique relative ? — Malheureux ! il n’y a que cela. Et l’impressionisme de l’auditeur, qu’en faites-vous ? Un Français, un Italien ou un Allemand se comportent-ils de même en présence d’une partition ? un esthéticien perçoit-il comme un dilettante, un dilettante comme le profanum vulgus ? La musique absolue, si vous en voulez des exemples, notre siècle en a d’incomparables, mais ce n’est point à l’opéra qu’il vous les faudra chercher. Regardez, au