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à qui voudrait s’occuper d’écrire une sérieuse histoire de l’opéra. C’était rare autrefois à l’étranger qu’une partition ne restât pas en manuscrit, lorsque chez nous les moindres ouvrages de Desaides ou de Philidor obtenaient les honneurs de la gravure. C’est que, longtemps, l’Italie et l’Allemagne ne connurent que l’opéra de cour, destiné à se localiser dans telle ou telle résidence princière, dont il faisait le divertissement privilégié ; en quoi le simple manuscrit pouvait suffire ; tandis que la France, toujours prompte à s’assimiler les œuvres du dehors pour les répandre ensuite à l’état de produits nationaux, devait naturellement avoir recours à des moyens d’exportation plus expéditifs. Ce génie de l’appropriation, caractère de notre race, ne laissa pas de s’affirmer aussi dans cette circonstance. L’opéra étant d’origine italienne, force nous fut de nous recruter en Italie. Oui ; mais retenez bien ce point : si, dès 1647, nous tirons de Florence nos compositeurs et nos instrumentistes, nous n’admettons pas que leur musique parle une autre langue que la nôtre. La musique sera de Lulli, mais le texte sera de Corneille ou de Quinault. C’est sous le titre de tragédie mise en musique que le Florentin sera venu ainsi fonder l’opéra français, et, cette prédominance de notre esprit, de notre goût, tous la subiront par la suite, les Piccinni et les Sacchini, les Cherubini comme les Spontini, et jusqu’à Rossini lui-même, qui, de séjour à Paris, pense en français, écrit en français son Guillaume Tell. Il faut donc que ce sentiment d’un art lyrique national ait sa raison d’être, puisque la France a, de tout temps, su l’imposer aux plus illustres et que nous n’acceptons, nous, les Gluck, les Cherubini et les Rossini, que sous bénéfice de haute et patente naturalisation.

En ce qui regarde Rossini, peut-être aussi faudrait-il admettre que son évolution eut double sens. Il ne supportait pas de s’entendre appeler : le musicien du congrès de Vérone ; et j’ai souvent pensé que bien des colères rentrées avaient dû trouver à s’échapper de ce côté. Le seul choix du sujet semble l’indiquer. S’improviser Français en donnant pour protagoniste, à son œuvre de naturalisation, le héros de la Suisse contre la tyrannie autrichienne, c’était une revanche éclatante du rôle d’accompagnateur subalterne que le prince Metternich lui avait fait jouer dans son intermède organisé contre l’indépendance de l’Italie. Le génie a ses secrets qu’il garde souvent même dans l’inconscience, et c’est aussi le devoir de la critique de s’en enquérir.

J’avoue qu’à ce titre, le dernier ouvrage de M. Riehl, un des maîtres les plus incontestés de l’esthétique allemande, me réjouit le cœur. J’y trouve à chaque instant le témoignage de notre influence historique : « La guerre d’affranchissement que l’Allemagne eut à