Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même époque, les chemins de fer rhénans furent construits avec les bras des gens de l’Eiffel. Actuellement, ils ne veulent plus travailler, et leur situation tout entière a empiré. Ils ne se gênent pas pour dire : « Nous n’avons qu’à nous lamenter, on ne manquera pas de nous nourrir[1]… » Un peu plus loin, M. de Bath raconte que, lors de la récente construction d’une route, les habitans des villages devant lesquels elle passe refusaient de travailler pour 2 fr. 50 par jour ; on dut faire venir des Italiens. On ne sait comment expliquer cette répugnance pour le travail ; les faits analogues que M. de Hœvel rapporte de la Westphalie sont attribués à la concurrence de l’industrie, qui n’abandonne à l’agriculture que les travailleurs de rebut.

Il n’est pas nécessaire, croyons nous, de démontrer davantage que les frais de production ont augmenté, on peut l’induire de ce qui précède ; mais il est une autre circonstance qui influe encore bien plus gravement sur la situation des agriculteurs, c’est l’accroissement de leurs besoins. Les enquêtes ont relevé sur ce point de nombreux renseignemens, mais il conviendra, avant tout, de remonter aux causes.

Ce qui distingue la vie du cultivateur actuel de celle de ses aïeux, c’est qu’autrefois le paysan ne se nourrissait et ne se vêtait guère que du produit direct de ses champs. Il ne dépensait presque rien pour sa consommation, le numéraire lui servait à payer l’impôt, peut-être des redevances, quelques outils, et à faciliter l’échange de ses chevaux, de ses bestiaux ; ce qui lui restait était thésaurisé, souvent pour acheter un lopin de terre. Aujourd’hui, la consommation du plus petit cultivateur comporte des déboursés ; une partie de ses recettes s’en vont en dépenses journalières. Plusieurs circonstances, très différentes les unes des autres, y ont contribué. L’affluence des métaux précieux et la multiplication de la monnaie fiduciaire ont fait déborder le numéraire dans la campagne, et il a d’autant plus vite cessé d’y être rare, que le prix de la plupart des produits agricoles a sensiblement augmenté. L’industrie, en prenant l’extension extraordinaire que l’on sait, a envahi les champs et y a répandu ses richesses, en montrant en même temps comment on en jouit. Les chemins de fer ont rapproché les villes et ont donné le goût du luxe. La diffusion de l’instruction, la création des journaux à bon marché, le service militaire, ont permis de faire des comparaisons qui ont éveillé l’esprit d’imitation. On s’est senti assez riche pour suivre le courant.

Le mouvement est assez général, quoiqu’il ne soit pas partout également intense. Citons au hasard. M. Heim, parlant de

  1. Verhandlungen, 1883, p, 642. Le pays est sous le régime du droit à l’assistance.