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Les héritiers se prêtaient le plus souvent aux arrangemens de famille, surtout lorsque la volonté des parens s’était exprimée soit par testament, soit par avancement d’hoirie. Habituellement les parens se retirent, installant à leur place l’un de leurs enfans, ici l’aîné, là le plus jeune, dotent les autres, et imposent à tous un consentement définitif. La coutume des retraites, souvent prématurées, est très répandue ; on la retrouve dans presque tous les états de l’Europe et elle s’appuie sur un sentiment que tout le monde comprend. On sait qu’elle a aussi ses inconvéniens, car les tribunaux. civils et même les cours criminelles retentissent bien souvent de la. plainte des parens contre les enfans ingrats ; mais, malgré tant d’expériences fâcheuses, l’usage de se retirer pour faire place aux. enfans se maintient, et la seule chose qu’on ait apprise, c’est de, dresser dans le contrat de cession une liste très détaillée des fournitures que les parens ont le droit de réclamer.

En voyant avec quelle opiniâtreté les traditions se conservent, on se demande à quoi servent les lois ; elles ne changent rien à la nature des choses ; et quand on s’obstine à les faire intervenir à contre sens, elles ne peuvent que fausser les apparences et aggraver le mal. Ainsi, la loi anglaise a permis d’établir un lien presque indissoluble entre la famille et sa propriété patrimoniale ; mais, comme elle n’a pas pu en même temps empêcher les parens d’aimer leurs cadets, les biens ont été chargés d’hypothèques en leur faveur, et, peu à peu, les hypothèques se sont tellement accumulées, que parfois l’héritier en nom dispose à peine de la vingtième partie du revenu. Les biens de lord X. rapportent un million, dit-on, mais les charges s’élèvent à 950,000 francs, et il ne touche en réalité que 50,000 francs par an.

S’il n’en est pas tout à fait ainsi en Allemagne, c’est que les propriétés ne sont pas aussi grandes ; elles ne supporteraient pas un pareil fardeau : il faut arriver plus tôt à la liquidation, et la loi n’y oppose presque aucun obstacle. On se rappelle que, même là où l’on a établi des höfe ou fermes indivisibles, le propriétaire actuel peut, par une simple déclaration et sans frais, faire effacée cette qualité qui, d’ailleurs, n’empêche pas la vente en bloc ; si l’on préfère morceler, c’est que cette opération est bien plus avantageuse ; c’est souvent le seul moyen de payer ses dettes et de garder un surplus. Avec cette facilité des liquidations, on pourrait s’étonner que la misère fût aussi profonde en Allemagne qu’en Angleterre et que les plaintes fussent aussi générales. Mais l’explication paraît aisée. En Angleterre, la propriété, sauf les exceptions, est affermée ; le fermier paie sa rent et n’a pas à demander comment le propriétaire la divise et la répartit ; le fermier ne supporte pas les charges de la propriété, ni le propriétaire celle de l’exploitation. En