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Chanvalon. « Plût à Dieu, écrivait-elle à son amant, que sur moi seule cet orage se pût décharger ! Mais vous mettre en danger ! ah ! non, ma vie, il n’y a gêne si cruelle à quoi je ne me soumette plutôt ! J’en rends une assez grande preuve, m’interdisant le plaisir de votre belle vue, que je tiens m’être aussi nécessaire que le soleil aux printanières fleurs. » Ces craintes n’étaient que trop réelles : prévenu des bruits injurieux qui couraient publiquement sur sa sœur, Henri III voulut s’en assurer. A prix d’or, il gagna une femme de chambre de Marguerite. Cette créature révéla au roi l’intrigue de sa sœur avec Chanvalon ; elle lui nomma tous les anciens amans de sa maîtresse à leur date et avec les détails les plus compromettans. Ces preuves une fois en ses mains, Henri III attendit l’heure favorable.

Un événement imprévu hâta le dénoûment de la crise. Il avait envoyé à Lyon un courrier, porteur d’une lettre secrète pour le duc de Joyeuse. A quelques lieues de Paris, ce courrier fut assailli par des gens masqués, qui le tuèrent et enlevèrent ses dépêches. A tort ou à raison, Marguerite fut accusée de ce guet-apens ; on prétendit qu’elle avait voulu savoir ce que son frère écrivait sur elle à Joyeuse. Henri III ne chercha plus que l’occasion de se venger et de tendre un piège à sa sœur. Le 7 août, il devait y avoir grand bal à la cour ; Catherine étant absente, et la reine, Louise de Lorraine, indisposée, il pria Marguerite de les remplacer et d’en faire les honneurs. Sans défiance, elle accepta et vint prendre place sous le dais royal. A l’heure la plus animée du bal, suivi par d’Épernon et ses favoris habituels, Henri III s’approcha du trône où sa sœur était assise, et là, debout, à haute voix, devant toute l’assistance, il lui reprocha ses amours avec Chanvalon. Il l’accusa d’avoir eu un enfant de lui et nomma un à un tous les amans qu’on lui attribuait. Immobile et muette, Marguerite essuya ce long réquisitoire, dont le dernier mot fut un ordre de bannissement. « Vous n’avez que faire ici ; allez rejoindre votre mari et partez demain. » Dans la nuit, une troupe d’hommes masqués cerna le logis de Chanvalon et le fouilla de fond en comble, mais prudemment il avait pris la fuite.

Le 8 août, au matin, un carrosse attelé de quatre chevaux stationnait dans la cour de l’hôtel de Birague, que Marguerite venait récemment d’acquérir. Ses femmes et ses serviteurs, déjà à cheval, attendaient en silence l’heure du départ. Vêtue d’une robe de couleur sombre, le visage recouvert d’un masque, Marguerite parut sur le perron, et, se retournant vers ceux de sa maison qui restaient : « Je suis aussi malheureuse que Marie Stuart, s’écria-t-elle. Ne se trouvera-t-il donc personne qui veuille me donner du poison ? » Et elle monta dans le carrosse, qui partit aussitôt.

Le malin du même jour, soixante archers de la garde de Henri III